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LES RAVAGEURS

du laurier-rose et du noyer sont jaunes. Tous sont remarquables par la rapidité de leur multiplication.

Il suffirait de quelques mots empruntés à cette partie de l’arithmétique qu’on appelle théorie des progressions pour comprendre comment un seul puceron peut être en peu de temps la souche d’une prodigieuse famille ; mais vous n’êtes pas encore, ni l’un ni l’autre, assez avancés dans le calcul.

Jules. — J’en suis pourtant à la division.

Paul. — N’importe, votre esprit n’est pas suffisamment habitué à la valeur des nombres. Je préfère prendre un détour. Écoutez donc cette histoire.

Il y avait autrefois un roi des Indes qui s’ennuyait beaucoup. Pour le distraire, un derviche inventa le jeu d’échecs. Ce jeu vous est inconnu. Eh bien, sur un casier, dans le genre de celui du jeu de dames, deux adversaires rangent en corps de bataille, l’un blanc, l’autre noir, des pièces de diverses valeurs, pions, fous, cavaliers, tours, reine et roi. L’action s’engage. Les pions, simples fantassins, destinés à cueillir, comme toujours, la première part de gloire et de horions, escarmouchent d’abord entre eux. Le roi les regarde s’exterminer, retenu par sa grandeur loin de la mêlée. Maintenant la cavalerie donne, sabrant à tort et à travers ; les fous même guerroient avec un enthousiasme en rapport avec l’état de leur cervelle, et les tours ambulantes s’en vont de-ci, de-là, protéger les flancs de l’armée. La victoire se décide. Du côté du camp noir, la reine est prisonnière ; le roi a perdu ses tours ; un cavalier, un fou, font des prodiges de valeur pour lui ménager une fuite. Ils succombent. Le roi est cerné, la partie est perdue.