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LES RAVAGEURS

calcul des grains de blé demandés. Le derviche sourit malicieusement dans sa barbe, et se retira avec modestie à l’écart en attendant la fin du calcul.

Et voilà que, sous la plume des calculateurs, le chiffre s’enflait, s’enflait toujours. L’opération terminée, le chef des savants se leva.

« Sublime Commandeur, dit-il, l’arithmétique a prononcé. Pour satisfaire à la demande du derviche, vous n’avez pas assez de blé dans vos greniers. Il n’y en a pas assez dans la ville, pas assez dans tout le royaume, pas assez dans le monde entier. Avec la quantité de grains demandée, toute la terre, mers et continents, serait couverte d’une couche continue d’un travers de doigt d’épaisseur.

Le roi se mordit la moustache de dépit, et, dans l’impuissance de lui compter son grain de blé, il nomma premier vizir l’inventeur des échecs. C’est ce que désirait le derviche malin.

Jules. — Comme le roi, je me serais laissé prendre au piège du derviche ; j’aurais cru qu’en doublant un grain soixante-quatre fois, on eût au plus quelques poignées de blé.

Paul. — Désormais vous saurez qu’un nombre, même fort petit, lorsqu’il éprouve une série de multiplications par le même chiffre, est semblable à la pelote de neige, qui grossit à vue d’œil en roulant, et devient bientôt la boule énorme que tous nos efforts ne peuvent plus remuer.