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L’INSTINCT

sur l’arbre convenable, jamais ailleurs. Où l’homme pourrait se tromper, la bête, guidée par l’instinct, ne fait pas d’erreur.

La petite larve sort de l’œuf. Par expérience, que sait-elle, la pauvrette, du dur métier qu’elle est destinée à faire ? Rien, absolument rien. C’est égal, aussitôt née, elle attaque le bois et se creuse au plus vite une niche pour se mettre à l’abri. Le plus pressé est fait ; maintenant à loisir elle ronge, elle avance, grignotant un peu d’ici, un peu de là, abandonnant un mauvais coin pour en choisir un meilleur. La galerie s’allonge, toujours plus grosse à mesure que l’animal grandit ; tantôt elle monte, tantôt elle descend ou tourne par côté dans l’épaisseur entière de la branche. Tout le bois est attaqué indifféremment, sans économie, au hasard, car la larve est assurée de ne pas manquer de vivres. Une seule chose est scrupuleusement respectée : c’est l’écorce, qu’il ne faut pas trouer, crainte de trahir son gite. Comment la larve, travaillant dans une obscurité absolue, sait-elle que le bout de la galerie va toucher à l’écorce et que le moment est venu de rebrousser chemin ? Qui lui inspire la crainte de se montrer au dehors ? qui lui conseille de se tenir prudemment au cœur du bois pour éviter le moineau malintentionné qu’elle n’a jamais vu ? C’est l’instinct, la clairvoyante inspiration qui sauvegarde les créatures dans la lutte implacable de la vie.