Page:Les Soirées de Médan.djvu/139

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malheureuse, car les soldats ne se gênaient guère pour se livrer à d’indiscrètes propretés devant elle. Jamais d’ailleurs je ne la vis rougir ; elle passait entre eux, muette, les yeux baissés, semblait ne pas entendre les grossières facéties qui se débitaient autour d’elle.

Dieu ! m’a-t-elle gâté ! Je la vois encore, le matin, alors que le soleil cassait sur les dalles l’ombre des barreaux de fenêtres, s’avancer lentement, au fond du corridor, les grandes ailes de son bonnet battant sur son visage. Elle arrivait près de mon lit avec une assiette qui fumait et sur le bord de laquelle luisait son ongle bien taillé. « La soupe est un peu claire ce matin, disait-elle, avec son joli sourire, je vous apporte du chocolat ; mangez vite pendant qu’il est chaud ! »

Malgré les soins qu’elle me prodiguait, je m’ennuyais à mourir dans cet hôpital. Mon ami et moi nous étions arrivés à ce degré d’abrutissement qui vous jette sur un lit, s’essayant à tuer, dans une somnolence de bête, les longues heures des insupportables journées. Les seules distractions qui nous fussent offertes, consistaient en un déjeuner et un diner composés de bœuf bouilli, de pastèque, de pruneaux et d’un doigt de vin, le tout en insuffisante quantité pour nourrir un homme.

Grâce à ma simple politesse vis-à-vis des sœurs et aux étiquettes de pharmacie que j’écrivais pour elles, j’obtenais heureusement une côtelette de temps à autre et une poire cueillie dans le verger de l’hôpital. J’étais donc, en somme, le moins à plaindre de tous les soldats entassés pêle-mêle dans les salles, mais, les premiers jours, je ne parvenais même point à