Page:Les Soirées de Médan.djvu/220

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traitement le papier bleu, il se demande si vraiment il serait prudent d’en donner communication au public. Déjà la veille, par un homme qui a réussi à traverser les lignes prussiennes, des détails lui sont arrivés, lamentables. Il ne les a pas divulgués. Et il reste là, abattu, ployant sous le chagrin de ses propres défaites, accablé aussi sous les désastres de province.

Maintenant le doute même n’est plus permis : c’est la capitulation à courte échéance. Longtemps il se défend, le mot seul effarouche tout son passé de dignité militaire, et cependant les vivres sont épuisés, les troupes diminuées de tous les morts et de tous les blessés de cinq mois de combats. Il y a bien la garde nationale. Involontairement, il sourit, plein du dédain des soldats de profession contre les soldats improvisés. Alors l’idée de capitulation réapparaît dans son esprit, et à mesure, le mot, insensiblement, se fait accepter. Après tout, il a fait tout ce qu’il était possible de faire : il n’a pas contrevenu aux lois qui déterminent la conduite d’un officier général commandant une place forte. Non, n’est-ce pas ? Il n’aura pas la gloire, soit ; mais au moins, son honneur est sauf. Il délibère en lui-même, s’accuse mollement, et, s’absolvant, décide qu’il a fait son devoir. Alors il se résigne.

Pourtant, par un suprême excès de conscience, il veut s’assurer si une sortie héroïque, désordonnée, est véritablement impraticable. Qui sait ? peut-être par une attaque à l’improviste pourrait-on forcer cette ligne d’investissement trop vaste pour n’avoir pas de points faibles. Alors il fait seller son cheval. Escorté d’un piquet de cavaliers qui mettent derrière lui la silhouette maigre de leurs chevaux, et comme