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TROISIÈME AVENTURE.

grand orme voisin. Renart le voit, veut l’arrêter : il est déjà trop tard. Il se dresse sur le tronc de l’arbre, saute, et n’en peut atteindre les rameaux. « Ah ! Noiret, » dit-il, « cela n’est pas bien : je vois que vous m’avez vilainement gabé. — Vous le voyez ? » dit Noiret, « eh bien ! tout à l’heure vous ne le voyiez pas. Possible, en effet, que vous ayez eu tort de chanter ; aussi, je ne vous demande pas de continuer le même air. Bonjour, damp Renart ! allez vous reposer ; quand vous aurez bien dormi, vous trouverez peut-être une autre proie ! »

Renart tout confus, ne sait que faire et que résoudre. « Par sainte Anne ! » dit-il, « le proverbe est juste : beau chanter nuit ou ennuie ; et le vilain dit avec raison : entre la bouche et la cuiller il y a souvent encombre. J’en ai fait l’épreuve. Caton a dit aussi : à beau manger peu de paroles. Pourquoi ne m’en suis-je pas souvenu ! » Tout en s’éloignant, il murmuroit encore : « Mauvaise et sotte journée ! On dit que je suis habile, et que le bœuf ne sauroit labourer comme je sais leurrer ; voilà pourtant un méchant coq qui me donne une leçon de tromperie ! Puisse au moins la chose demeurer secrète, et ne pas aller jusqu’à la Cour ! c’en seroit fait de ma réputation. »