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PRIMAUT ET LES POISSONNIERS.

n’oublioit pas la félonie de Primaut, il avise un expédient qui va lui fournir un excellent moyen de vengeance. Il prend entre ses dents un des plus beaux harengs, joint les pieds, fait un saut et le voilà sur le pré. Mais avant de s’éloigner, il ne peut se tenir de gaber un peu les marchands : « Bon voyage, les vilains ! je n’ai plus affaire de vous et je vous engage ne pas compter sur ma peau pour votre écot. Vos harengs sont très-bons ; je n’en regrette pas le prix. À vous le reste, sauf celui-ci que j’emporte pour la faim prochaine. Dieu vous garde, les vilains ! »

Cela dit, Renart joue des jambes, et les harengers de se regarder confus et ébaubis. Ils le huent, ils le menacent ; peines perdues, il n’en presse pas d’un brin son allure. Il va le trot, le pas, l’amble ; à travers monts, bosquets, plaines et vallées, jusqu’à ce qu’il ait enfin regagné l’endroit où il avoit laissé Primaut.

Primaut y étoit encore ; et il faut le dire à son honneur, il ne put, en revoyant Renart, s’empêcher de verser deux larmes de repentir. Il se lève même, va de quelques pas à sa rencontre, et quand il se trouve à portée, il le salue d’un air contrit. Pour Renart, il fait semblant de ne pas le voir. « Beau compain, » dit Primaut, « de grâce, ne me tenez pas ri-