Page:Les filles de Loth et autres poèmes érotiques, 1933.djvu/144

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Saint Paul a vu Jésus debout sur un nuage ;
Saint Jean, sur cette terre a vu le Paradis ;
Voltaire a vu du bleu dans tout ça : mais je gage
Que pas un être humain n’a vu ce que je vis :

Dans l’humble vallon, qui sépare mes couilles
Les morpions s’étaient en cénacle assemblés ;
Seuls, les déshérités, qui revenaient bredouilles,
Erraient encor, cherchant de sanglantes dépouilles,
Sur les maigres plateaux et les pics désolés
Le reste était plongé dans une douce ivresse.
Tous s’étaient réunis dans le fond du ravin :
Là, les vieux rabâchaient leurs hauts faits de jeunesse ;
Les jeunes gens faisaient minette à leur maîtresse ;
Les moins saouls se brossaient le ventre dans un coin.
C’étaient, de toute part, des rires frénétiques,
Des propos insensés et des refrains bachiques !
Où donc vont se nicher la gloire et la fierté !
Et comme ils vous traitaient la pauvre humanité !
Ils se croyaient géants ! Pour eux, ma couille ronde
Était ce qu’est, pour nous, l’immensité du monde !
Eh ! qui sait, après tout, humanité crédule,
Si notre terre à nous n’est pas le testicule
D’un géant dont le corps emplit l’immensité ?
Tandis qu’à ses ébats, la troupe abandonnée
S’en donnait à gogo, le doyen de l’armée,
Seul, à l’ombre d’un poil, se tenait à l’écart,
Grave et rêveur : c’était un type de grognard,
Buvant beaucoup, jurant toujours, ne parlant guère.
Lui qui perdait, par an, deux membres à la guerre,
Qui goûtait aux combats le bonheur des élus,
Il languissait. Pourquoi ? le sang ne coulait plus !


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