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Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 01.djvu/339

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l’expérience, de manière que souvent il le confondait. De même, il pratiquait les écrits de la religion chrétienne, intervenant dans les discussions et les prédications des personnes savantes, dont il tirait un si grand fruit, grâce à son admirable mémoire, que Messer Paulo susdit, pour faire son éloge, avait coutume de dire que, lorsqu’il entendait raisonner Filippo, il lui semblait un nouveau saint Paul. À la même époque, il s’appliqua également à bien comprendre Dante, relativement aux lieux décrits par le poète et à ses théories et très souvent il s’en servait dans ses raisonnements, en le citant par comparaisons. Son esprit était continuellement occupé à imaginer et à inventer des choses ingénieuses et difficiles et il ne put pas rencontrer d’esprit qui lui plût davantage que celui de Donato, avec lequel il causait famiUèrement, raisonnant, pour leur plus grand plaisir, sur les difficultés du métier.

Dans ce temps-là, Donato venait déterminer un crucifix en bois, qui fut placé à Santa Croce de Florence[1], au-dessous de la fresque peinte par Taddeo Gaddi, et qui représente saint François, ressuscitant un enfant. Il voulut connaître l’avis de Filippo, mais il s’en repentit ensuite, car Filippo lui dit qu’il n’avait mis en croix qu’un paysan. C’est de là que vient le proverbe : « Prends du bois et fais en un ! » telle fut la réponse de Donato. Filippo, qui ne se fâchait jamais de ce qu’on lui disait, bien que dans le cas il se sentît véritablement provoqué, se renferma chez lui pendant plusieurs mois qu’il employa à sculpter un crucifix en bois, d’égale grandeur, mais d’un dessin et d’une exécution si admirables, qu’un jour s’étant fait précéder par Donato qui ignorait ce travail, celui-ci le voyant, dans sa surprise, laissa choir par terre les œufs et les autres provisions qu’il apportait pour déjeuner avec son ami. Il était hors de lui d’admiration, en voyant avec quelle manière pleine de génie Filippo avait exécuté les jambes, le torse et les bras de cette figure, d’une telle unité que Donato s’avoua vaincu et qu’il proclama partout que cette œuvre était un vrai miracle. Ce crucifix est aujourd’hui à Santa Maria Novella[2], entre les chapelles Strozzi et Bardi da Vernio et il est extrêmement admiré encore maintenant. L’excellence des deux maîtres engagea les Arts des Bouchers et des Marchands de Lin à leur commander deux statues en marbre, destinées à occuper les niches des pilastres afférents à ces deux arts, à l’extérieur d’Or San

  1. Actuellement dans la chapelle Bardi.
  2. Actuellement dans la chapelle Gondi. — Brunellesco donna également le dessin de la chaire actuelle, qui fut couverte de bas-reliefs dus à un certain Maestro Lazzaro, aux frais de la famille Ruccellai.