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Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 01.djvu/346

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l’une, de faire une voûte double, qui serait d’un poids énorme et inutile, l’autre, de l’élever sans armature. De son côté, Filippo, qui avait consacré tant d’années à ses études, dans l’espoir d’être chargé du travail, ne savait que faire et, par moments, était tenté de quitter Florence. Mais, comme il voulait rester vainqueur, il lui fallait s’armer de patience, sachant, d’ailleurs, que les cervelles des Florentins ne sauraient rester fermes sur le même propos. Il aurait bien pu montrer un petit modèle qu’il tenait en réserve, mais il ne le voulait pas, connaissant le peu d’intelligence de ses juges, la jalousie des artistes et l’instabilité de ses concitoyens. Il entreprit donc séparément ceux qu’il n’avait pu convaincre réunis, tantôt un consul, tantôt un fabricien, tantôt un de ses concitoyens, leur montrant une partie de ses dessins, en sorte qu’ils se décidèrent d’allouer le travail soit à lui, soit à l’un des architectes étrangers. Il y eut donc une nouvelle assemblée et les architectes recommencèrent leurs discussions ; mais ils furent tous vaincus par Filippo, et c’est alors, dit-on, qu’il y eut la dispute de l’œuf, que l’on raconte de la manière suivante : Ils auraient voulu qu’il leur fît connaître le fond de sa pensée et qu’il leur montrât son modèle, comme eux avaient fait ; mais il s’y refusa et se contenta de leur présenter un œui, en disant : « Celui qui le fera tenir debout sur cette table de marbre sera digne de faire la coupole. » Ses rivaux ayant consenti à tenter l’expérience, aucun ne put réussir. On dit alors à Filippo de résoudre le problème. Ayant pris l’œuf, il donna un coup de la pointe sur la table et le fit tenir droit. Comme ils murmuraient et disaient qu’ils en auraient bien fait autant, il leur répondit en riant qu’ils sauraient également faire la coupole s’il leur montrait son modèle ou ses dessins.

Il fut enfin décidé qu’il aurait la direction des travaux, et on l’invita à mieux exposer ses projets. Étant rentré chez lui, il mit par écrit tout ce qu’il avait dans l’esprit le plus clairement qu’il put, dans la forme suivante[1]: « Ayant considéré les difficultés de cette entreprise, magnifiques seigneurs, je me suis rendu compte qu’il est impossible de faire la coupole sphérique, attendu que l’appui de la lanterne serait trop large, et que le poids de celle-ci, trop considérable, ruinerait rapidement le tout. Les architectes qui n’ont pas en vue l’éternité de leurs constructions ne pensent pas à leur réputation, et ne savent pas pour qui ils travaillent. Aussi me suis-je décidé à faire une coupole

  1. Ce projet, rapporté dans les livres de comptes de l’Œuvre du Dôme, est de 1420. Le texte en diffère sensiblement de la relation donnée par Vasari.