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Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 01.djvu/349

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Pendant que l’on rassemblait les matériaux, pour commencer à construire, il s’éleva une rumeur parmi les artisans et les citoyens qui improuvaient la décision des consuls et des fabriciens, et qui disaient qu’un pareil travail ne devait pas être confié à un seul homme. Un choix aussi exclusif serait pardonnable, disaient-ils, s’il y avait manque d’hommes de talent, tandis qu’au contraire il y en avait en abondance. L’honneur de la ville était en jeu, car, s’il survenait quelque accident, ce qui arrive fréquemment dans les constructions, les consuls et les fabriciens seraient inexcusables d’avoir donné une trop lourde tâche à un seul homme, indépendamment du dommage et de la honte qui en résulterait pour la ville ; enfin, il serait bon d’adjoindre un compagnon à Filippo pour réfréner son ardeur immodérée.

À cette époque, Lorenzo Ghiberti était en grand crédit, pour avoir fait preuve de son génie dans les portes de San Giovanni, et la suite prouva clairement qu’il avait nombre d’amis influents dans le gouvernement, jaloux de voir croître à ce point la réputation de Filippo, et sous couleur de s’intéresser à la bonne réussite de la construction, ils firent si bien auprès des consuls et des fabriciens, que Lorenzo fut adjoint à Filippo dans cette œuvre[1]. Cette nouvelle jeta Filippo dans un tel désespoir, qu’il fut sur le point de quitter Florence ; et, sans Donato et Luca della Robbia qui le réconfortèrent, il aurait été hors de lui. C’est vraiment une rage inouïe que celle des gens qui, aveuglés par la jalousie, menacent la gloire de leurs adversaires, et compromettent la réussite de belles entreprises, uniquement par ambition ; il ne s’en fallut pas beaucoup que Filippo ne brisât les modèles, brûlât les dessins et réduisît à néant, en moins d’une demi-heure, le résultat du travail de tant d’années. Les fabriciens s’excusèrent auprès de lui, et l’exhortèrent à aller de l’avant, l’assurant qu’il serait toujours considéré comme l’inventeur et le seul auteur de la coupole ; néanmoins ils allouèrent à Lorenzo un égal salaire.

Filippo commença son œuvre avec peu de goût, sentant qu’il aurait toute la peine et qu’il lui faudrait partager la gloire avec Lorenzo. Mais il reprit courage, pensant bien qu’il trouverait le moyen d’éliminer avant peu son rival, et il continua à mettre à exécution, avec Lorenzo, son projet tel qu’il était décrit dans son mémoire. Il eut alors la pensée de faire établir un modèle, car, jusqu’à ce moment, on

  1. Le 16 avril 1420, sont nommés provéditeurs de la coupole : Brunellesco, Ghiberti et Batista d’Antonio, au salaire de trois florins d’or par mois. En cas de mort ou de démission, il y avait deux suppléants désignés, l’un Giuliano d’Arrigo, dit Pesello, pour Brunellesco ; le deuxième, Giovanni di Gherardo da Prato, pour les deux autres.