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Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 01.djvu/355

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avait en outre pensé à mettre des ferrements pour établir des ponts à l’intérieur, si plus tard on voulait y poser des mosaïques ou des peintures ; les conduites d’eau étaient disposées dans les endroits moins dangereux, et distinctes suivant qu’elles devaient être à couvert ou à découvert ; les lumières et les ouvertures étaient agencées de manière à rompre le vent, et à éviter que l’humidité ou les tremblements de terre ne nuisent à l’édifice. Il montra ainsi tout le fruit qu’il avait retiré de si longues années d’études passées à Rome. Quand on considérait ensuite tout ce qu’il avait fait dans les onglets, les incrustations, les agencements et liaisons de pierres, on tremblait en pensant qu’un seul esprit était devenu capable d’embrasser un pareil travail, comme l’avait fait Filippo. Son génie monta encore davantage, au point qu’il n’y eut de chose aussi dure et difficile à imaginer qu’il ne rendît facile et aisée ; il le montra dans ses appareils à monter les charges qu’il perfectionna à l’aide de contre-poids et de poulies, en sorte qu’un seul bœuf tirait ce que six paires ne pouvaient tirer auparavant.

À ce moment, les travaux étaient arrivés à une telle hauteur qu’il fallait un temps énorme pour en descendre, quand on y était monté ; de plus, les ouvriers perdaient un temps précieux, lorsqu’ils allaient boire et manger, et souffraient beaucoup de la chaleur du jour. Pour remédier à cet inconvénient, Filippo établit sur la couple des cabarets avec des cuisines, où l’on vendait du vin et des vivres ; par ce moyen, personne ne quittait l’ouvrage avant la fin de la journée, ce qui fut d’une grande commodité pour les ouvriers et de non moins d’utilité pour la construction. En la voyant marcher rondement et réussir si heureusement, le courage de Filippo s’était enflammé, au point qu’il ne se ménageait plus, allant lui-même aux fours où se faisaient les briques ; il voulait voir la terre, la faisait pétrir devant lui, et quand les briques étaient cuites, il les choisissait de sa propre main, avec grand soin. Dans les ateliers de taille, il regardait si les pierres avaient des fissures, si elles étaient dures, et il donnait les modèles des onglets, des joints qu’il faisait en bois, en cire, et même avec des raves ; il en faisait autant des ferrements chez les forgerons. Il inventa des agrafes et des crampons qui furent d’une grande utilité en architecture, et certes il amena cet art à un point de perfection qu’il n’atteignit peut-être jamais en Toscane.

Telles étaient la félicité et la joie dans lesquelles vivait Florence, l’an 1423[1], quand Filippo fut nommé de la Seigneurie, pour le quartier

  1. Exactement en 1425.