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Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 01.djvu/482

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nouillée, qui l’adore et le reconnaît pour le Messie véritable, est Giovanni, fils de Cosme. On ne peut décrire la beauté que Sandro mit dans ces têtes ; dans des attitudes diverses, elles sont tournées, les unes de face, les autres de profil, certaines de trois quarts, ou inclinées, outre une diversité de physionomies, chez les jeunes et les vieux, et une originalité de détails qui peuvent faire reconnaître la perfection de son talent professionnel. De plus, il distingua les cours des trois rois, de manière que l’on reconnaît facilement les serviteurs de l’un et de l’autre. Cette œuvre est si admirable pour le coloris, le dessin et la composition, que tout artiste de nos jours en reste stupéfait. Elle lui valut, à Florence et au dehors, tant de renommée que le pape Sixte IV, ayant fait construire une chapelle dans son palais à Rome, et voulant la faire peindre, ordonna qu’il devînt chef de ce travail. Il y peignit de sa main la Tentation du Christ Moïse tuant l’Egyptien et défendant contre les pasteurs madianites les filles de Jethro, et le feu tombant du ciel pendant le sacrifice des fils d’Aaron. Sandro représenta ensuite quelques saints papes dans les niches placées au-dessus de ces fresques[1]. Ayant par suite acquis une grande gloire parmi les peintres florentins et autres qui travaillaient dans cette chapelle en même temps que lui, il eut du pape une forte somme d’argent qu’il dépensa en un moment, à Rome, vivant au jour le jour, suivant son habitude. Ayant terminé le travail qui lui était alloué et l’ayant découvert, il revint brusquement à Florence où, en cerveau alambiqué qu’il était, il commenta une partie de Dante et fit une illustration de l’Enfer[2] qu’il mit à l’impression. Travaillant à cet ouvrage, il y perdit beaucoup de temps, et, comme il ne faisait pas autre chose, cela fut cause d’une infinité de désordres dans sa vie. Il fit encore quelques estampes[3] d’après ses dessins, mais dans une mauvaise manière, parce que l’intaille en fut mal faite. Sa meilleure est le Triomphe de la Foi[4], de Fra Girolamo Savonarola de Ferrare, de la secte duquel il fut partisan, au point qu’il abandonna la peinture, et comme il ne possédait aucune ressource, il tomba dans le plus grand embarras. Sectateur obstiné ce parti, et faisant, comme on disait alors, il Piagnone, il cessa de travailler, et à la fin il se trouva vieux et pauvre, de telle sorte que, si Laurent de Médicis, pour lequel il avait beaucoup travaillé, surtout dans le petit Hôpital de Volterra, ne l’avait soutenu pendant le reste de

  1. Les trois fresques de Botticelli et ses têtes de pontifes, dans la chapelle Sixtine, existent encore.
  2. Les dessins originaux sont au Musée de Berlin.
  3. Inconnues.
  4. Gravure inconnue ; ce livre fut imprimé en 1516.