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Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 02.djvu/148

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laquelle Raphaël avait tenu un office de cubiculaire ; il était si cher au pape que sa mort le fit pleurer amèrement. O heureuse, ô bienheureuse âme, comme chacun se plaît à parler de toi, à célébrer tout ce que tu fis, à admirer tout ce que tu as laissé ! La peinture, elle aussi, pouvait bien mourir, quand mourut ce noble ouvrier, car, en lui fermant les yeux, elle demeura comme aveuglée. Maintenant, c’est à nous, à nous qui restons après lui, d’imiter la bonne, que dis-je ! l’excellente manière dont il nous a laissé l’exemple ; c’est à nous, comme sa vertu le mérite et comme l’exige notre gratitude, de conserver dans l’âme son aimable souvenir et de tenir toujours sur nos lèvres sa mémoire hautement honorée ! Car, en vérité, c’est par lui que nous avons la science, la couleur, l’invention poussées ensemble à cette perfection féconde qu’on pouvait à peine espérer ; quant à le dépasser jamais, qu’aucun génie n’y pense ! Et ce bienfait n’est pas le seul qui lui ait mérité notre reconnaissance. Il ne cessa, tant qu’il vécut de nous offrir le meilleur exemple à suivre dans nos rapports avec nos égaux et avec ceux qui sont placés au-dessus et au-dessous de nous. Parmi ses qualités si rares, j’en trouve une qui m’étonne : le ciel lui donna le pouvoir de se comporter d’une manière tout à fait différente de la nôtre, à nous autres peintres. Tous les artistes qui travaillaient en commun, sous la direction de Raphaël, quel que fût leur degré de talent, étaient unis dans une telle concorde que toutes les mauvaises pensées s’évanouissaient à sa vue, et que cette union n’exista jamais que de son temps. Et cela provenait de ce qu’ils sentaient la supériorité de son caractère affable et de son talent, mais surtout à cause de sa bonne nature pleine de gentillesse et si débordante de charité que les hommes, les animaux mêmes l’affectionnaient. Si un peintre, même de ceux qui lui étaient inconnus, lui demandait un dessin, il laissait de côté ses propres ouvrages pour venir à son aide. Il eut constamment de nombreux élèves qu’il aidait et dirigeait avec un amour quasi-paternel. Aussi n’allait-il pas à la cour sans être accompagné d’une cinquantaine de peintres, tous hommes bons et vaillants, qui lui faisaient escorte pour l’honorer. En somme, il vécut non en peintre mais en prince. O peinture, art divin, tu pouvais t’estimer heureuse, possédant un maître dont le talent et les grâces aimables l’élevaient jusqu’au ciel ! Oui, tu pouvais te dire vraiment heureuse, car tes disciples, en marchant dans ses traces, s’inspiraient du grand exemple d’un homme qui, par la puissance de son génie et ses qualités attirantes, arriva à séduire la grande âme de Jules II et à s’acquérir la libéralité de Léon X. Heureux encore celui qui, guidé par ses leçons, put s’exercer sous ses