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Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 02.djvu/316

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ment si apprivoisés qu’ils étaient sans cesse à ses côtés, à jouer et à faire les plus grandes folies du monde, de façon que sa maison ressemblait véritablement à l’arche de Noé. Aussi cette manière de vivre, son étrangeté et les œuvres de peinture (en cela du moins, il faisait quelque chose de bon) lui donnaient un tel renom chez les Siennois, tout au moins dans la plèbe et le vulgaire (car les gentilshommes le connaissaient davantage) que beaucoup le considéraient comme un grand homme.

Fra Domenico da Lecco, Lombard, ayant été élu général des moines de Monte Oliveto, le Sodoma alla le visiter à Monte Oliveto di Chiusuri, principal couvent de cet ordre, situé à quinze milles de Sienne, et il sut si bien dire et faire qu’on lui donna à terminer la Vie de saint Benoît, commencée sur une paroi par Luca Signorelli da Cortona[1]. Pour ce travail, il reçut une très mince rétribution et fut défrayé de ses dépenses, de celles de ses auxiliaires et de ses broyeurs de couleurs. On ne saurait raconter toutes les folies qu’il fit durant ce séjour dans le couvent ; par ses tours plaisants, il amusa de telle sorte les religieux, que ceux-ci ne l’appelaient point autrement que le Mattacio (l’Extravagant). Ses premières œuvres sentant le métier et ayant été faites sans soin, le général s’en plaignit, mais le Mattacio lui répondit qu’il travaillait par caprices, que son pinceau ne dansait bien qu’au son des écus, et que si l’on voulait augmenter son salaire, il se sentait capable de faire beaucoup mieux. Le général lui ayant promis de le payer plus largement à l’avenir, Giovannantonio exécuta trois histoires qui restaient à faire dans les coins, et qui sont effectivement bien supérieures aux précédentes[2]. L’une d’elles représente saint Benoît quittant Norcia et prenant congé de son père et de sa mère, pour aller étudier à Rome ; dans la seconde, on voit saint Maur et saint Placide enfants, confiés par leurs parents à saint Benoît, pour être consacrés à Dieu ; la troisième montre les Goths incendiant le mont Cassin. En dernier lieu, afin de jouer une pièce au général et aux moines, il peignit le prêtre Fiorenzo, ennemi de saint Benoît, essayant de débaucher les religieux, en faisant danser et chanter une troupe de courtisanes autour du monastère de ce saint homme. Le Sodoma, qui était aussi indécent dans ses peintures que dans ses actions, figura une danse de femmes nues d’une obscénité révoltante ; comme on ne l’aurait pas laissé faire, il ne voulut montrer sa fresque à aucun moine pendant

  1. Laissée inachevée par Signorelli, quand il fut appelé à Orvieto, en 1488, pour peindre la chapelle San Brizio du Dôme. Sodoma exécuta vingt-cinq fresques dans le cloître.
  2. En 1505-1506. Il reçut pour toutes ces peintures 241 ducats.