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Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 02.djvu/396

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À cette époque, s’étant lié d’amitié avec, un barbier du cardinal, qui peignait en détrempe très convenablement, mais ne savait pas dessiner, Michel-Ange fit, pour lui, un carton de saint François recevant les stigmates ; le barbier le mit ensuite en couleurs sur un petit tableau bien exécuté, qui est aujourd’hui dans la première chapelle, à main gauche, en entrant dans l’église San Piero a Montorio[1].

Messer Jacopo Galli, gentilhomme romain et homme d’esprit, reconnut aussi le mérite de Michel-Ange, et lui fit faire un Cupidon de marbre, grand comme nature, ensuite un Bacchus haut de dix palmes, ayant une coupe dans la main droite, et dans la gauche une peau de tigre et une grappe de raisin qu’un petit satyre cherche à manger[2]. Dans cette figure, on reconnaît que Michel-Ange a cherché à rendre une certaine union des deux sexes, en lui donnant la sveltesse d’un jeune homme et la rondeur charnue des formes de la femme, chose admirable, et qui montra qu’il était infiniment supérieur en sculpture à tous les maîtres modernes qui avaient travaillé jusqu’alors. Il est incroyable d’imaginer tout ce qu’il acquit pendant son séjour à Rome dans les études de l’art, les hautes pensées et le style plein de difficultés qu’il avait adopté et qu’il rendait avec la plus grande facilité, toutes choses qui causaient une réelle épouvante à ceux qui n’étaient pas habitués à voir de pareilles œuvres, car tout ce que l’on produisait n’était rien à côté des siennes. Aussi le cardinal de Saint-Denis[3], Français, désireux de laisser de soi quelque monument qui rappelât son nom, et de la main d’un pareil artiste, dans une ville si fameuse, lui fit faire[4] une Pietà en marbre de haut relief, qui fut placée, une fois terminée, à Saint-Pierre, dans la chapelle della Vergine Madre delle Febbre, où s’élevait autrefois le temple de Mars. Jamais sculpteur, ni artiste excellent ne put imaginer mettre dans son œuvre plus de grâce et de dessin, ni travailler le marbre avec cette finesse, ce poli que l’on voit dans l’œuvre de Michel-Ange ; aussi peut-on y découvrir toute la valeur et le pouvoir de l’art. Entre autres belles choses, outre la beauté des draperies, qui sont réellement divines, le Christ mort est si remarquable qu’on ne saurait voir un corps nu plus observé, en ce qui concerne la superposition des muscles, des veines et des nerfs

  1. Ce tableau est perdu.
  2. Actuellement au Musée National.
  3. Jean de Groslaye de Villiers, abbé de Saint-Denis et ambassadeur de Charles VIII auprès du pape ; cardinal en 1493.
  4. Contrat du 26 août 1498 : prix quatre cent cinquante ducats d’or. Ce groupe est actuellement à Saint-Pierre, à droite en entrant.