Aller au contenu

Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 02.djvu/463

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

tité de torches qu’on avait apportées, et les jeunes s’emparèrent du brancard avec tant de promptitude que bienheureux furent ceux qui purent s’en approcher et pouvoir aider, comme s’ils croyaient pouvoir un jour se glorifier d’avoir porté les restes du plus grand homme qui fut jamais dans leurs arts. Ce rassemblement autour de San Piero attira l’attention de beaucoup de personnes, comme cela arrive en pareil cas, et le murmure était d’autant plus grand que le corps de Michel-Ange était sorti de l’église et qu’il s’agissait de le porter à Santa Croce. Bien que tout cela eût été organisé de manière que la chose ne fût pas sue, car le bruit s’en étant répandu en ville, une grande foule serait accourue et aurait amené du désordre et de la confusion ; bien qu’en outre les organisateurs eussent désiré s’en tenir à ce peu d’apparat, réservant la grande cérémonie à un autre temps plus commode, tout alla d’une manière contraire. En effet, quant à la foule, la nouvelle s’étant répandue de bouche en bouche, en un clin d’œil l’église fut si pleine que ce fut avec une très grande difficulté qu’on parvînt à porter le corps à la sacristie pour le sortir du ballot et le mettre dans le caveau. Quant aux honneurs, il est incontestable que la vue d’un grand nombre de religieux et de pénitents, d’une multitude de cierges et d’une foule de gens vêtus de noir constitue un apparat grand et magnifique. Mais il n’est pas moins merveilleux de voir réunis à l’improviste tant d’hommes excellents dans leurs arts et justement réputés, apportant à ce corps leurs hommages d’admiration et d’affection. Il y avait en outre quantité de citoyens derrière eux et dans les rues par où le cortège passait, plus, pour ainsi dire, que les rues ne pouvaient en contenir, et, ce qui est encore plus merveilleux, on n’entendait que les louanges du grand mérite de Michel-Ange ; et dire que le vrai talent a tant de force que, même si toute espérance de gain et d’avantages vient à lui manquer, il lui reste toujours d’être aimé et honoré pour sa propre valeur.

Le corps ayant été apporté à Santa Croce, après que les frères lui eussent rendu les honneurs dus aux morts, on le porta à la sacristie, non sans grande difficulté, à cause de la foule. Là, le directeur de l’Académie, appelé par les devoirs de sa charge, pensant faire une chose qui fût agréable à tous, et désirant, comme il l’avoua plus tard, voir mort celui qu’il n’avait pu voir vivant, ou bien qu’il avait vu à un âge dont il ne lui restait plus de souvenir, se décida à faire ouvrir la bière, ce qui fut fait. Il pensait, et nous pensions tous trouver le corps déjà en décomposition, puisque Michel-Ange était mort vingt-cinq jours auparavant, et que son corps était en bière depuis vingt-deux jours. Mais nous le vîmes intact dans toutes ses parties, ne dégageant aucune