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Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 02.djvu/66

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dessiner et de modeler, ce qui plaisait plus qu’autre chose à sa fantaisie. Ser Piero voyant cela et considérant l’élévation de cet esprit, prit un jour quelques-uns de ses dessins, les porta à Andrea del Verrocchio, son intime ami, et le pria instamment de lui dire si Léonard, s’appliquant au dessin, pourrait en tirer parti. Andrea fut stupéfait de voir ces commencements prodigieux et engagea Ser Piero à le faire étudier. Celui-ci tomba d’accord avec son fils de l’envoyer à l’atelier d’Andrea[1], ce que Léonard fit bien volontiers et non seulement il s’attacha à un art, mais à tous ceux où le dessin intervenait. Ayant un esprit si divin et merveilleux et étant très bon géomètre, il s’occupa de sculpture, faisant en terre, dans sa jeunesse, quelques têtes de femmes qui rient, et, pareillement, des têtes d’enfants qui semblent sorties de la main d’un maître. En architecture, il fit de nombreux dessins, tant en plan qu’en élévation, et il fut le premier, étant encore jeune, qui parla de se servir des eaux de l’Arno pour en faire un canal de Pise à Florence. Il fit des dessins de moulins, de foulons et de machines se mouvant par la seule force de l’eau ; mais, comme sa vocation voulait qu’il fût peintre, il s’appliqua énormément à travailler d’après nature et parfois à faire des maquettes en terre sur lesquelles il plaçait des chiffons mouillés et enduits de terre. Il s’évertuait ensuite à les copier patiemment sur des toiles de Reims très fines ou des toiles de lin préparées, en les coloriant en noir et en blanc avec la pointe du pinceau, ce qui était merveilleux à voir, de même qu’il dessina sur le papier avec tant de soin et de perfection que personne ne pouvait l’égaler dans la finesse du rendu.

Dans cet esprit si bien doué de Dieu, il y avait une telle puissance de démonstration, d’accord avec l’intelligence et la mémoire, et ses mains savaient si bien rendre, par le dessin, le concept de ses idées, qu’il l’emportait par ses raisonnements et que ses discours confondaient l’esprit le plus hardi. Il composait continuellement des modèles et des dessins pour aplanir facilement des montagnes, les percer afin d’unir deux plaines, puis soulever, au moyen de vis, de leviers et de cabestans, des poids énormes ; il inventait également des moyens de curer un port, des pompes pour faire monter l’eau. Enfin, sa tête était en travail continuel, et, de tous ces projets, il est résulté un grand nombre de dessins qui sont épars çà et là, entre les mains des artistes. Il perdit son temps jusqu’à dessiner des entrelacs de cordes[2], disposés de façon à remplir

  1. Il y était encore en 1476 Léonard est inscrit au Livre rouge des Peintres en 1472.
  2. On en voit plusieurs à la Bibliothèque Amboisienne. Ils furent gravés sur bois par Albert Durer.