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Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 02.djvu/79

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instrument si divinement qu’il était souvent engagé pour cela dans des concerts et des réunions de la noblesse vénitienne.

Il s’adonna au dessin et l’apprécia grandement, en quoi la nature le favorisa au point que, grand admirateur de ses belles œuvres, il ne voulait jamais mettre en train aucune œuvre sans la copier d’après le vif. Il en poussa l’imitation si loin que non seulement il acquit la réputation d’avoir dépassé Gentile et Giovanni Bellini, mais encore il put rivaliser avec les peintres toscans, créateurs de la manière moderne. Il avait vu plusieurs ouvrages de Léonard, exécutés dans la manière enfumée et terriblement enfoncée dans le noir, comme on l’a dit ; il la goûta tellement qu’il la pratiqua toujours et l’imita grandement dans son coloris à l’huile. Appréciant la beauté du travail, il chercha toujours à mettre dans ses œuvres le plus de beauté et de variété qu’il trouva. La nature lui donna un si heureux génie, que sa peinture à l’huile et à fresque reflète une grande vivacité, qu’elle est pleine de choses délicates, unies et fondues dans les parties sombres ; en sorte que beaucoup de grands maîtres d’alors avouèrent qu’il était né pour mettre de la vie dans ses figures et reproduire la fraîcheur des chairs plus qu’aucun autre peintre de Venise ou d’ailleurs. Dans ses commencements, il peignit à Venise beaucoup de Vierges et de portraits d’après l’original, qui sont pleins de vivacité et de beauté, comme on peut s’en rendre compte par trois admirables portraits à l’huile, conservés dans le cabinet de Grimani, patriarche d’Aquilée. L’un d’eux[1], dit-on, est son propre portrait sous les traits d’un David, aux cheveux tombant sur les épaules, suivant la mode d’alors ; il a la poitrine et les bras armés, et sa main tient la tête de Goliath. L’autre est une tête un peu plus grande que nature : c’est probablement un général d’armée, car il tient à la main un bonnet rouge, insigne du commandement ; il a un col de fourrures et dessous une tunique à l’antique. Le troisième portrait est celui d un enfant dont la tête est couverte d’une véritable toison[2].

À Florence, on voit de sa main, dans la maison des fils de Giovan Borgherini le portrait de leur père, peint quand il était jeune homme, à Venise, avec son précepteur à côté de lui[3]. On ne saurait voir de meilleur couleur de chairs ni plus belle teinte d’ombre. Dans la maison d’Anton de’ Nobili, se trouve le portrait d’un capitaine revêtu de son armure, tête pleine d’ardeur et de fierté, dans laquelle on croit

  1. Un tableau répondant à cette description est au Musée de Vienne.
  2. Les deux portraits sont perdus
  3. Un tableau répondant à cette description est au Musée de Berlin.