Page:Lesage - Œuvres, Didot, 1877.djvu/50

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Cela étant, dit l’écuyer, il me prend envie d’avoir une conversation particulière avec ta parente, de la mettre dans mes intérêts par quelques petits présents, suivant l’usage ; et si elle me conseille de rendre des soins à sa maîtresse, je tenterai la fortune. Pourquoi non ? Je conviens qu’il y a de la distance de mon rang à celui de don Fernando ; mais je suis gentilhomme une fois, et je possède cinq cents bons ducats de rente. Il se fait tous les jours des mariages plus extravagants que celui-là. »

« Le page fortifia son gouverneur dans sa résolution, et lui ménagea une entrevue avec la cousine, qui, trouvant l’écuyer disposé à tout croire, l’assura que sa maîtresse avait du goût pour lui. « Elle m’a souvent interrogée sur votre chapitre, lui dit-elle, et ce que je lui ai répondu là-dessus ne doit pas vous avoir nui. Enfin, seigneur écuyer, vous pouvez vous flatter justement que dona Luziana vous aime en secret. Faites-lui hardiment connaître vos légitimes intentions : montrez-lui que vous êtes le cavalier de Madrid le plus galant, comme vous en êtes le plus beau et le mieux fait : donnez-lui surtout des sérénades, rien ne lui sera plus agréable ; de mon côté, je lui ferai bien valoir vos galanteries, et j’espère que mes bons offices ne vous seront pas inutiles. » Don Côme, transporté de joie de voir la soubrette entrer si chaudement dans ses intérêts, l’accabla d’embrassades, et lui mettant au doigt une bague de peu de valeur qu’il avait apportée exprès pour lui en faire présent : « Ma chère Floretta, lui dit-il, je ne vous donne ce diamant que pour faire connaissance avec vous : j’ai dessein de reconnaître par une plus solide récompense les services que vous me rendrez. »

« On ne saurait être plus satisfait qu’il le fut de son entretien avec la suivante. Aussi, non-seulement il remercia Domingo de le lui avoir procuré, il le gratifia d’une paire de bas de soie et de quelques chemises garnies de dentelles, lui promettant d’ailleurs de ne laisser échapper aucune occasion de lui être utile. Ensuite, le consultant sur ce qu’il avait à faire : « Mon ami, lui dit-il, quel est ton sentiment ? me conseilles-tu de débuter par une lettre passionnée et sublime à dona Luziana ? — C’est mon avis, répondit le page : faites-lui une déclaration d’amour en haut style ; j’ai un pressentiment qu’elle ne le recevra point mal. — Je le crois de même, reprit l’écuyer ; je vais à tout hasard commencer par là. » Aussitôt il se mit à écrire, et après avoir déchiré pour le moins vingt brouillons, il parvint à faire un billet doux auquel il s’arrêta. Il en fit la lecture à Domingo, qui, l’ayant écouté avec des gestes d’admiration, se chargea de le porter sur-le-champ à sa cousine. Il était conçu dans ces termes fleuris et recherchés :

Il y a longtemps, charmante Luziana, que, sur la foi de la renommée qui publie partout vos perfections, je me suis laisse enflammer d’un ardent amour pour vous. Néanmoins, malgré les feux dont je suis la proie, je n’ai osé hasarder aucun acte de galanterie, mais comme il m’est revenu que vous daignez arrêter vos regards sur moi quand je passe devant la jalousie qui dérobe aux yeux des hommes votre beauté céleste, et même que, par une influence de votre astre très-heureuse pour moi, vous inclinez à me vouloir du bien, je prends la liberté de vous demander la permission de me consacrer à votre service. Si je suis assez fortuné pour l’obtenir, je renonce à toutes les dames passées, présentes et à venir.

Don Come de la Higuera. « Le page et la suivante ne manquèrent pas de s’égayer aux dépens du seigneur don Côme, et de se divertir de sa lettre. Ils n’en demeurèrent pas là : ils composèrent à frais communs un billet tendre, que la femme de chambre écrivit de sa main, et que Domingo rendit le jour suivant à l’écuyer, comme une réponse de dona Luziana. Il contenait ces paroles :

J’ignore qui peut vous avoir si bien instruit de mes sentiments secrets. C’est une trahison que quelqu’un m’a faite ; mais je la lui pardonne, puisqu’elle est cause que vous m’apprenez que vous m’aimez. De tous les hommes que je vois passer dans ma sue, vous êtes celui que je prends le plus de plaisir à regarder, et je veux bien que vous soyez mon amant. Peut-être ne devrais-je pas le vouloir, et encore moins vous le dire. Si c’est une faute que je fais, votre mérite me rend excusable.

Dona Luziana.

« Quoique cette réponse fût un peu trop vive pour la fille d’un mestre de camp, car les auteurs n’y avaient pas regardé de si près, le présomptueux don Côme ne s’en défia point ; il s’estimait assez pour s’imaginer qu’une dame pouvait oublier pour lui les bienséances. « Ah ! Domingo, s’écria-t-il d’un air triomphant, après avoir lu à haute voix la lettre supposée, tu vois, mon ami, si la voisine en tient : je serai bientôt gendre de don Fernand, ou je ne suis pas don Côme de la Higuera.

« — Il n’en faut pas douter, dit le bourreau de confident ; vous avez fait sur sa fille une furieuse impression. Mais à propos, ajouta-t-il, je me souviens que ma parente m’a bien recommandé de vous dire que dès demain, tout au plus tard, il était nécessaire que vous donnassiez une sérénade à sa maîtresse, pour achever de la rendre folle de votre seigneurie. — Je le veux bien, dit l’écuyer. Tu peux assurer ta cousine que je suivrai son conseil, et que demain, sans faute, elle entendra dans