Page:Lesage - Œuvres, Didot, 1877.djvu/762

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Je connais tout l'excès de votre amour. Mais où en êtes-vous avec la petite fille ? Elle sait vos sentiments ? Valère. Depuis huit jours que j'ai un libre accès chez son père, j'ai si bien fait, qu'elle me voit d'un œil favorable, mais Lisette sa femme de chambre m'apprit hier une nouvelle qui me met au désespoir. Crispin. Eh que vous a-t-elle dit cette désespérante Lisette ? Valère. Que j'ai un rival, que Monsieur Oronte a donné sa parole à un jeune homme de province qui doit incessamment arriver à Paris pour épouser Angélique. Crispin. Et qui est ce rival ? Valère. C'est ce que je ne sais point encore. On appela Lisette dans le temps qu'elle me disait cette fâcheuse nouvelle, et je fus obligé de me retirer sans apprendre son nom. Crispin. Nous avons bien la mine de n'être pas sitôt propriétaires des trois belles maisons de Monsieur Oronte. Valère. Va trouver Lisette de ma part, parle-lui, après cela nous prendrons nos mesures. Crispin. Laissez-moi faire. Valère. Je vais t'attendre au logis.


Scène II

Crispin seul. Que je suis las d'être valet ! Ah, Crispin, c'est ta faute, tu as toujours donné dans la bagatelle, tu devrais présentement briller dans la finance. Avec l'esprit que j'ai, morbleu, j'aurais déjà fait plus d'une banqueroute.


Scène III

Crispin, La Branche

La Branche. N'est-ce pas là Crispin ? Crispin. Est-ce La Branche que je vois ? La Branche. C'est Crispin, c'est lui-même. Crispin. C'est La Branche, ou je meure ! l'heureuse rencontre ! que je t'embrasse mon cher. Franchement, ne te voyant plus paraître à Paris, je craignais que quelque arrêt de la cour ne t'en eût éloigné. La Branche. Ma foi, mon ami, je l'ai échappé belle depuis que je ne t'ai vu. On m'a voulu donner de l'occupation sur mer ; j'ai pensé être du dernier détachement de la Tournelle. Crispin. Tudieu ! Qu'avais-tu donc fait ? La Branche. Une nuit je m'avisai d'arrêter dans une rue détournée un marchand étranger pour lui demander par curiosité des nouvelles de son pays. Comme il n'entendait pas le français, il crut que je lui demandais la bourse, il crie au voleur, le guet vient, on me prend pour un fripon, on me mène au Châtelet, j'y ai demeuré sept semaines. Crispin. Sept semaines ? La Branche. J'y aurais demeuré bien davantage sans la nièce d'une revendeuse à la toilette. Crispin. Est-il vrai ? La Branche. On était furieusement prévenu contre moi, mais cette bonne amie se donna tant de mouvement, qu'elle fit connaître mon innocence. Crispin. Il est bon d'avoir de puissants amis. La Branche. Cette aventure m'a fait faire des réflexions. Crispin. Je le crois, tu n'es plus curieux de savoir des nouvelles des pays étrangers. La Branche. Non, ventrebleu, je me suis remis dans le service. Et toi, Crispin, Travailles-tu toujours ? Crispin. Non, je suis comme toi un fripon honoraire. Je suis rentré dans le service aussi ; mais je sers un maître sans bien, ce qui suppose un valet sans gages ; je ne suis pas trop content de ma condition. La Branche. Je le suis assez de la mienne, moi, je me suis retiré à Chartres, j'y sers un jeune homme appelé Damis; c'est un aimable garçon, il aime le jeu, le vin, les femmes ; c'est un homme universel ; nous