Page:Lesage - Œuvres, Didot, 1877.djvu/771

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à mon esprit, je ne devine point le sujet de plaintes que vous pouvez avoir contre moi. M.Oronte. Tu ne veux donc pas parler. Holà quelqu'un, qu'on me fasse venir un commissaire. La Branche. Attendez, Monsieur, point de bruit. Tout innocent que je suis, vous le prenez sur un ton qui ne laisse pas d'embarrasser mon innocence. Allons, éclaircissons-nous tous deux de sang-froid, ça, qui vous a dit que mon maître était marié ? M.Oronte. Qui ? il l'a mandé lui-même à un de ses amis, à Valère. La Branche. À Valère, dites-vous ? M.Oronte. À Valère, oui ! Que répondras-tu à cela ? La Branche, riant. Rien, parbleu, le trait est excellent ! ah ah, Monsieur Valère, vous ne vous y prenez pas mal, ma foi ! M.Oronte. Comment, qu'est-ce que cela signifie ? La Branche,riant. On nous l'avait bien dit, qu'il nous régalerait tôt ou tard d'un plat de sa façon. Il n'y a pas manqué, comme vous voyez. M.Oronte. Je ne vois point cela. La Branche. Vous l'allez voir, vous l'allez voir. Premièrement ce Valère aime Mademoiselle votre fille, je vous en avertis. M.Oronte. Je le sais bien. La Branche. Lisette est dans ses intérêts. Elle entre dans toutes les mesures qu'il prend, pour faire réussir sa recherche. Je vais parier que c'est elle qui vous aura débité ce mensonge-là. M.Oronte. Il est vrai. La Branche. Dans l'embarras où l'arrivée de mon maître les a jetés tous deux, qu'ont-ils fait ? ils ont fait courir le bruit que Damis était marié. Valère même montre une lettre supposée qu'il dit avoir reçue de mon maître, et tout cela, vous m'entendez bien, pour suspendre le mariage d'Angélique. M.Oronte, bas. Ce qu'il dit est assez vraisemblable. La Branche. Et pendant que vous approfondirez ce faux bruit, Lisette gagnera l'esprit de sa maîtresse, et lui fera faire quelque mauvais pas, après quoi vous ne pourrez plus la refuser à Valère. M.Oronte, bas. Hon hon, ce raisonnement est assez raisonnable. La Branche. Mais ma foi, les trompeurs seront trompés. Monsieur Oronte est homme d'esprit, homme de tête, ce n'est point à lui qu'il faut se jouer. M.Oronte. Non, parbleu. La Branche. Vous savez toutes les rubriques du monde, toutes les ruses qu'un amant met en usage pour supplanter son rival. M.Oronte. Je t'en réponds. Je vois bien que ton maître n'est point marié. Admirez un peu la fourberie de Valère; il assure qu'il est intime ami de Damis, et je vais parier qu'ils ne se connaissent seulement pas. La Branche. Sans doute. Malepeste, Monsieur, que vous êtes pénétrant ! comment, rien ne vous échappe. M.Oronte. Je ne me trompe guère dans mes conjectures. J'aperçois ton maître, je veux rire avec lui de son prétendu mariage, ah ah ah ah. La Branche. Hé hé hé hé hé hé hé.


Scène XV

M.Oronte, La Branche, Crispin

M.Oronte, riant. Vous ne savez pas, mon gendre, ce que l'on dit de vous ? que cela est plaisant ! On m'est venu donner avis, (mais avis comme d'une chose assurée) que vous étiez marié. Vous avez, dit-on, épousé secrètement une fille de Chartres. Ah ah ah ah, est-ce que vous ne trouvez pas cela plaisant ? La Branche, riant, et faisant des signes à Crispin. Hé hé hé hé, il n'y a rien de si plaisant. Crispin. Ho ho ho ho, cela est tout à fait plaisant. M.Oronte. Un autre, j'en suis sûr, serait assez sot pour donner là-dedans ; mais moi, serviteur. La Branche. Oh diable, Monsieur Oronte est un des plus gros génies ! Crispin.