Page:Lesage - Œuvres, Didot, 1877.djvu/787

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dame. L’excellent sujet ! il a de l’argent, il est prodigue et crédule ; c’est un homme fait pour les coquettes.

LA BARONNE.

J’en fais assez ce que je veux, comme tu vois.

MARINE, apercevant le chevalier et Frontin.

Oui ; mais, par malheur, je vois arriver ici des gens qui vengent bien M. Turcaret


Scène VIII.

LA BARONNE, LE CHEVALIER, MARINE, FRONTIN.
LE CHEVALIER, à la baronne.

Je viens, madame, vous témoigner ma reconnoissance. Sans vous j’aurois violé la foi des joueurs : ma parole perdoit tout son crédit, et je tombois dans le mépris des honnêtes gens.

LA BARONNE.

Je suis bien aise, chevalier, de vous avoir fait ce plaisir

LE CHEVALIER.

Ah ! qu’il est doux de voir sauver son honneur par l’objet même de son amour !

MARINE., à part.

Qu’il est tendre et passionné. Le moyen de lui refuser quelque chose !

LE CHEVALIER.

Bonjour, Marine. {A la baronne, avec ironie.) Madame, j’ai aussi quelques grâces à lui rendre. Frontin m’a dit qu’elle s’est intéressée à ma douleur.

MARINE.

Eh ! oui, merci de ma vie, je m’y suis intéressée ; elle nous coûte assez pour cela.

LA BARONNE.

Taisez-vous, Marine. Vous avez des vivacités ! comptes, qui ne me plaisent pas.

LE CHEVALIER.

Eh ! madame, laissez-la parler ; j’aime les gens francs et sincères.

MARINE.

Et moi, je hais ceux qui ne le sont pas.

LE CHEVALIER, à la baronne, ironiquement.

Elle est toute spirituelle dans ses mauvaises humeurs ; elle a des reparties brillantes qui m’enlèvent. .. (A Marine, ironiquement.) Marine, au moins, j’ai pour vous ce qui s’appelle une véritable amitié ; et je veux vous en donner des marques…. ( fait semblant de fouiller dans ses poches. À Frontin ironiquement.) Frontin, la première fois que je gagnerai, fais m’en ressouvenir.

FRONTIN., ironiquement.

C’est de l’argent comptant.

MARINE.

J’ai bien affaire de son argent. Eh ! qu’il ne vienne pas ici piller le nôtre.

LA BARONNE.

Prenez garde à ce que vous dites. Marine.

MARINE.

C’est voler au coin d’un bois.

LA BARONNE.

Vous perdez le respect.

LE CHEVALIER.

Ne prenez point la chose sérieusement !

MARINE, à la baronne.

Je ne puis me contraindre, madame ; je ne puis voir tranquillement que vous soyez la dupe de monsieur, et que M. Turcaret soit la vôtre.

LA BARONNE.

Marine !…

MARINE., l’interrompant.

Eh ! fi, fi, madame, c’est se moquer de recevoir d’une main pour dissiper de l’autre ; la belle conduite ! Nous en aurons toute la honte, et M. le chevalier tout le profit.

LA BARONNE.

Oh ! pour cela, vous êtes trop insolente ; je n’y puis plus tenir.

MARINE.

Ni moi non plus.

LA BARONNE.

Je vous chasserai

MARINE.

Vous n’aurez pas cette peine-là, madame. Je me donne mon congé moi-même ; je ne veux pas que l’on dise dans le monde que je suis infructueusement complice de la ruine d’un financier,

LA BARONNE.

Retirez — vous, impudente, et ne paroissez jamais devant moi que pour me rendre vos comptes.

MARINE.

Je les rendrai à M. Turcaret, madame ; et, s’il est assez sage pour m’en croire, vous compterai aussi tous deux ensemble. (Elle sort)


Scène IX.

LA BARONNE, LE CHEVALIER, FRONTIN.
LE CHEVALIER, à la baronne.

Voilà, je l’avoue, une créature impertinente ! Vous avez eu raison de la chasser.

FRONTIN., à la baronne.

Oui, madame, vous avez eu raison. Comment