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hommes et à moi-même cette satisfaction, au moins. Je voulais voir aussi comment mes compagnons feraient leur devoir. D’ailleurs, bien que j’eusse promis de ne pas enlever Bouchette, je n’avais pas promis de ne pas lui donner une bonne peur.

— Peur ?… interrompit M. Belmont d’un ton de mépris, Bouchette est aussi brave que le plus vaillant.

— Parfaitement, dit Batoche, en ricanant ; il voulait se battre et brandissait sa canne comme un homme. Pour ce qui a été de lui faire peur, l’attaque a été un fiasco.

— Toute l’affaire a été un fiasco, Batoche. Cela nous perdra. Cela va me chasser de la ville. Je suis sûr que la garnison est en émoi à ce moment même.

— Les assaillants ne sont pas connus et ne peuvent être découverts.

— C’est bien cela, et par conséquent, les innocents seront soupçonnés. Votre grande faute a été de faire la chose à moitié. Un véritable enlèvement n’aurait pas été si malheureux, car alors la victime n’aurait pas été là pour conter son histoire, tandis que, comme les choses se sont passées, Bouchette l’a sans doute déjà dite à tout le monde et l’on ne peut prévoir les conséquences de votre imprudence.

Batoche ne répliqua rien, mais quelque chose, dans ses manières, indiquait qu’il ressentait fort peu de repentir de ce qu’il avait fait.

À ce point de la conversation, la servante frappa à la porte et annonça le capitaine Bouchette.

M. Belmont fut comme foudroyé. Batoche demeura parfaitement insensible.

— Faites-le entrer, murmura enfin M. Belmont.

Batoche fit le mouvement de se lever, mais son hôte l’arrêta brusquement.

— Ne bougez pas, dit-il. Votre présence peut être utile.

Bouchette s’avança marchant à grands pas et bruyamment ; il paraissait de fort bonne humeur. Il embrassa son vieil ami avec effusion et accepta la présentation de Batoche d’une manière cordiale et dégagée. Naturellement cette conduite donna aux affaires un nouvel aspect et M. Belmont fut bientôt tout à fait à l’aise. Bouchette commença aussitôt à parler du grand bal. Il dit qu’il était venu expressément pour cela.

Il en décrivit toutes les phases de sa manière sans gêne et s’étendit tout particulièrement sur la part que Pauline y avait prise. Il devint éloquent en traitant ce point de son récit. Il assura à M. Belmont qu’il devait être fier de sa fille, qui avait produit l’impres-