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les bastonnais

XX
le saut-au-matelot.

Arnold, dont la division était cantonnée à l’hôpital général, au faubourg Saint-Roch, s’était mis en mouvement, de son côté, mais pas aussi secrètement que l’avait fait Montgomery. Le tonnerre du canon, le tocsin des cloches, le roulement des tambours éveillèrent et alarmèrent la ville endormie. Ses hommes se glissèrent le long des murs sur une seule file, couvrant la batterie de leurs fusils du pan de leurs tuniques et baissant la tête pour faire face à l’ouragan de neige jusqu’à ce qu’ils fussent arrivés à leur poste d’attaque dans la rue Saut-au-Matelot. C’est là une des rues légendaires de Québec. Elle passe immédiatement au-dessous du cap et l’on croit que son nom lui vient d’un matelot qui sauta du sommet de ce promontoire dans cette rue.

Creuxius a une explication plus prosaïque : « Ad coufluentem promontorium assurgit quod saltum nautæ vulgo vocant ab cane hujus nominis qui se alias ex eo loco prœcipitum dedit. » Parmi les troupes d’Arnold les plus remarquables étaient les braves carabiniers de Morgan, et toute la colonne sous ses ordres comptait cinq cents hommes. Le général marcha à la tête de ses soldats, animant leur courage par sa parole et son exemple. Sa bravoure impétueuse le porta à s’exposer inutilement à l’attaque de la première barricade, devant laquelle il fut tout d’abord renversé d’un coup de mousquet au genou et emporté du champ de bataille à l’hôpital général, où, à son profond chagrin, il apprit bientôt la défaite et la mort de Montgomery. Le commandement échut alors à Morgan, qui, après un assaut bravement exécuté, s’empara de la première barricade où il fit un bon nombre de prisonniers. Il conduisit alors ses forces à l’attaque de la seconde barricade, plus importante, située plus avant dans l’intérieur de la ville. Dans ce trajet, ses hommes dispersèrent et désarmèrent un certain nombre d’élèves du séminaire, parmi lesquels se trouvait Eugène Sarpy. Un grand nombre de ceux-ci s’échappèrent, coururent à la haute ville et furent les premiers à renseigner Carleton sur la gravité de l’état des choses. Celui-ci dépêcha aussitôt Caldwell avec un fort détachement de milice comprenant la compagnie commandée par Roderick Hardinge. Ainsi renforcés, les défenseurs de la seconde barricade résistèrent si bien que Morgan fut complètement dérouté. Dans les ténèbres et au milieu de la confusion causée par un feu d’enfilade excessivement meurtrier et par la furie de l’ouragan de neige, il pouvait à peine retenir ses hommes rassemblés. Afin de se