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les bastonnais

— J’en suis sûr, au contraire. Je suis certain qu’il s’est tenu constamment aux côtés de Cary Singleton.

— Je n’avais pas pensé à cela. Hélas ! je crains bien que vous n’ayez raison. En ce cas, qui sait ?

— Oui, un malheur peut être arrivé à notre vieil ami et il se peut qu’il ne revienne jamais.

À ces mots, Zulma et son père tournèrent instinctivement leurs regards sur la petite Blanche. Un sourire angélique se jouait sur ses lèvres et son regard était vague et lointain.

— Blanche, dit Zulma en posant doucement la main sur l’épaule de l’enfant.

— Oui, Mademoiselle. Grand père, quand il m’a quittée, il y a deux jours, m’a dit au revoir. Ça veut dire : « je vous reverrai. »

— Mais peut-être ces hommes méchants l’ont-ils tué.

— Quels hommes méchants ? les loups ?

Zulma ne comprit pas, mais monsieur Sarpy saisit très bien la pensée de l’enfant.

— Oui, les loups, ma chérie, dit-il avec un triste sourire.

— Oh, mon grand père ne craint pas les loups. Ce sont les loups qui le craignent. Ils ne peuvent l’attraper, quelque grands que soient les dangers où il peut se trouver. Il peut souffrir, il peut être blessé, mais il ne mourra qu’auprès de notre cabane, aux chutes, sous les yeux de ma mère et avec une bénédiction pour moi. Il m’a souvent dit cela le soir, quand il me tenait sur son genou et je crois tout ce que dit mon grand père. Non, mademoiselle, il n’est pas mort et il viendra bientôt pour vous consoler.

Zulma ne put retenir ses larmes en entendant ces simples paroles enfantines si pathétiques, et soudain surgit dans son cœur un sentiment de confiance que la parole du prêtre n’avait pu y faire pénétrer. Elle repoussa sa chaise, souleva Blanche de son siège et la plaça sur ses genoux, appuyant la tête de l’enfant sur son épaule et couvrant le petit front de chauds baisers de gratitude. Monsieur Sarpy regarda et parut satisfait. Sans doute, une semblable assurance s’était éveillée en lui.

— Si Batoche vient en effet, dit-il, il viendra cette nuit. Nous connaissons sa ponctualité et sa promptitude à rendre service. Le temps est mauvais et les routes doivent être dans un état affreux ; mais tout cela ne sera pas un obstacle capable de l’empêcher d’arriver au manoir. Nous avons appris, néanmoins, que l’on a fait un grand nombre de prisonniers. Il se peut que Batoche soit du nombre. En ce cas, nous devrons nous résigner à ne pas le voir ce soir.