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pour admettre, en lui-même, que M. Belmont avait joué un rôle très pénible avec le plus noble courage. Mais, dans le cas actuel, la publicité donnée à la mort de Donald était une circonstance aggravante et Roderick en fut tellement accablé que, pendant deux ou trois jours, il évita de visiter la demeure de M. Belmont. Pauline et son père remarquèrent son absence sans pouvoir se rendre compte de ce qui pouvait la motiver. Sans doute, ils avaient appris la mort de Donald, mais ils n’avaient jamais pensé le moins du monde que Batoche eût été mêlé à cette malheureuse affaire. Enfin, quand son esprit fut devenu un peu plus calme, Hardinge alla chercher des nouvelles de la santé de Cary Singleton. Il fit bien sentir que c’était là le principal objet de sa visite. En dépit de ses efforts, ses manières étaient gênées en adressant quelques mots à M. Belmont et il parut même froid et compassé avec Pauline.

En le reconduisant à la porte, la jeune fille s’aventura à lui demander s’il était souffrant.

— Je souffre moralement, Pauline, répondit l’officier. J’ai fait de mon mieux pour rendre service à mes amis et leur être agréable, (et il la regarda d’un air sévère en lui disant ces paroles), mais cet horrible meurtre de mon vieux serviteur a renversé presque toutes mes prévisions. J’ignore encore ce qui pourra en résulter.

Pauline ne comprit rien à ce discours, mais quand elle le répéta à son père, il devint très ému et très courroucé.

— C’est ce qu’il y a au monde de plus difficile, que de servir deux maîtres, ma chère, dit-il à sa fille. Roderick est un brave homme, mais peut-être, si vous ou moi l’eussions moins connu, notre voie aurait-elle été plus simple et n’aurions-nous pas eu à vivre dans une crainte et un tremblement perpétuels. Je crois savoir ce qu’il a dans l’esprit, ce qui expliquerait la froideur de ses manières envers nous deux, ce soir. Tout en gardant strictement les promesses que j’ai faites à Monseigneur, je ne permettrai pas que l’on fasse de moi le jouet de la mauvaise humeur de qui que ce soit, et si Roderick tient envers moi la même conduite demain soir, je l’attaquerai là-dessus.

M. Belmont avait l’air très décidé, en prononçant ces paroles. Pauline, tout en continuant de n’y rien comprendre, se retira dans la chambre du malade, le cœur chargé d’une grande appréhension