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les bastonnais

IX
le hurlement du loup.

C’était une heure après le coucher du soleil et l’obscurité était déjà presque complète. Batoche avait attisé le feu et préparé la petite table sur laquelle il avait placé deux assiettes d’étain avec couteaux et fourchettes. Il sortit de sa poche un gros couteau qu’il ouvrit et plaça aussi sur la table. Il retira ensuite du garde-manger un pain bis qu’il mit à côté des assiettes. Ayant ainsi apparemment complété ses préparatifs pour le souper, il s’arrêta et sembla prêter l’oreille aux bruits du dehors.

« C’est étrange, murmura-t-il, elle n’est jamais en retard comme cela. »

Il se dirigea vers la porte qu’une bouffée de vent ouvrit toute grande au même moment et regarda longtemps et attentivement à droite et à gauche.

« La neige est épaisse, dit-il, le sentier qui vient de la grande route est obstrué. Peut-être a-t-elle perdu son chemin… mais non ; elle ne l’a jamais perdu jusqu’ici. »

Il ferma la porte, arpenta la chambre avec distraction et après avoir regardé tout autour de lui pendant une ou deux secondes, il se laissa choir dans une chaise basse garnie de lanières de cuir, devant le foyer. Pendant qu’il est assis là, saisissons l’occasion d’esquisser cet être singulier. Sa figure était expressive, le menton long et pointu, la mâchoire ferme. Les lèvres étaient serrées comme celles d’un homme taciturne, sans toutefois lui donner un air renfrogné, car, aux deux coins étaient gravées deux lignes comme celles de vieux sourires qui auraient enfoui là leurs joies pour toujours. Un nez long et assez épais, dont les narines se dilataient aux moindres impressions. Les os des joues proéminents. Un beau front, mais un peu trop aplati aux tempes.

De longues et minces mèches de cheveux blancs s’échappaient de son grand bonnet de peau de renard. Son teint était bronzé et sa figure, sans barbe.

Ce dernier trait passe pour être la caractéristique d’une faible vitalité, mais il distingue aussi fréquemment l’excentricité, et Batoche était évidemment un excentrique, comme l’indiquait l’expression de ses yeux ; des yeux d’un gris froid, mais lançant par moments de sauvages éclairs. La réflexion du brasier leur donnait une apparence fantastique.