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les bastonnais

Velours, plus vigilant, regardait furtivement son maître du coin des yeux ; mais connaissant bien ses habitudes, il ne jugea pas prudent de bouger de son nid ou de faire aucun bruit.

«  Il est un endroit entre tous, murmura Batoche, où je puis cacher ceci sans la moindre crainte qu’il puisse être découvert. Là, ni les oiseaux de l’air, ni les animaux des forêts, ni l’œil de l’homme ne le découvriront jamais. Blanche seule connaîtra la cachette ; mais je ne lui dirai rien maintenant. Elle dort, et c’est tant mieux. »

Il mit alors la cassette sous son bras et sortit avec précaution de la maison. Il prit un sentier qui menait aux chutes, et après avoir atteint leur sommet il tourna à droite et descendit le long des rochers jusqu’à ce qu’il eût atteint les profondeurs du bassin. Là, il s’arrêta un moment et regarda en haut comme pour s’assurer de sa position. Un instant plus tard, il avait disparu derrière la chute elle-même. Serrant plus étroitement la cassette sous son bras droit, il se servit de sa main gauche pour reconnaître sa route à tâtons, le long de la muraille de granit froide et humide. Les pierres sur lesquelles il marchait, les unes rondes, les autres cassées à angles aigus ou plates, étaient rendues glissantes par le limon qui avait coulé des fissures du sol supérieur et par l’écume qui rejaillissait de la cascade. À ces dangers, les ténèbres y en ajoutaient d’autres, car l’immense volume d’eau tombant du rocher en épais rideau fermait cet espace à la lumière du jour. Quand il eut atteint environ le milieu de l’espace entre les deux bords de la rivière, Batoche s’arrêta et se pencha devant une ouverture par laquelle il ne pouvait pénétrer qu’en se courbant. Sans hésiter et en homme qui connaissait les lieux, il entra ainsi dans le souterrain. Il y resta au moins une demi-heure. Quand il en sortit, il se redressa aisément, et à l’aide de ses deux mains, il revint rapidement au pied des chutes. Là, il s’arrêta, regardant au dessus et autour de lui, pour s’assurer qu’il était vraiment seul avec son secret.

Mais non, il n’était pas seul. Au sommet de la chute, le long de la dangereuse corniche d’où le torrent plonge tout d’un coup dans le précipice, une frêle forme humaine vêtue de blanc glissait lentement, la figure tournée vers lui. Ses cheveux blonds retenus par un réseau autour de son front tombaient en liberté sur ses épaules. Dans ses yeux brillait la flamme de l’amour et un doux sourire voltigeait sur ses lèvres. Ses blanches mains pendaient à ses côtés, et du rebord de son vêtement flottant sortait un pied mignon, d’un blanc de neige, qui semblait à peine toucher la surface de l’eau.