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les bastonnais

d’opérer sa retraite de Sorel. Mes coureurs des bois et mes messagers sauvages sont arrivés l’un après l’autre, la nuit dernière et ce matin. Ils m’informent que tandis que Montgomery marche sur Montréal, un corps considérable, sous la conduite d’un de ses meilleurs officiers, s’avance sur Sorel, en vue d’occuper cette place et de commander ainsi la rivière. McLean n’est pas en mesure de résister à cette attaque. Ce qui hâtera sa retraite, ce sont les nouvelles qu’il doit avoir reçues de-Québec à l’heure qu’il est.

Hier soir, aussitôt après avoir lu les dépêches que vous m’avez apportées, je lui ai envoyé un de mes plus rapides messagers. Il a dû arriver à Sorel de bonne heure ce matin. Le messager spécial dépêché au gouverneur Carleton avec les mêmes nouvelles arrivera à Montréal vers midi aujourd’hui.

Durant toute cette conversation, la figure d’Hardinge avait été grave et presque abattue ; mais aux derniers mots de son interlocuteur, elle se colora subitement et prit une expression d’enthousiasme.

— Si le colonel McLean et le gouverneur Carleton connaissent exactement l’état des choses à Québec, je suis content, s’écria-t-il.

— Alors, vous pouvez être satisfait. J’ai annoncé tout cela brièvement au lieutenant gouverneur Cramahé, mais vous pouvez le lui répéter et lui en donner la certitude.

— Je n’y manquerai pas.

Et après quelques mots d’adieux, il prit respectueusement congé du commandant.

Quand il eut dépassé les rues de Trois-Rivières et qu’il fut seul sur la route, il ne put retenir un long et bruyant cri de joie.

«  Le sort en est jeté, s’écria-t-il. La guerre est allumée de toutes parts. Dans vingt-quatre heures mon nom circulera d’un bout à l’autre de la province. Ma mission a pleinement réussi. Comme la petite Pauline va être fière de son cavalier ! »

Avec de telles pensées remplissant son esprit, il oublia sa fatigue corporelle et revint à Québec plus allègrement encore qu’il n’en était parti.

XIV
la traversée des bateaux.

Malgré l’heure tardive de son arrivée à Québec (longtemps après minuit), Hardinge se rendit directement au château Saint-Louis.

Il n’y avait aucun mouvement inusité, au château, mais son œil exercé reconnut des signes d’une vigilance inaccoutumée.

La garde, à l’entrée, avait été doublée et un grand nombre des fenêtres du rez-de-chaussée étaient éclairées. Il était évident aussi que son arrivée était attendue, car il n’eut pas plus tôt mis pied à terre, qu’un soldat vint prendre soin de son cheval et qu’il fut immédiatement conduit devant le lieutenant-gouverneur.

M. de Cramahé était dans la chambre du conseil, et plusieurs conseillers étaient assis autour de la table du centre, sur laquelle étaient épars un grand nombre de papiers.

— Soyez le bienvenu à votre retour, lieutenant, dit le gouverneur avec un vague sourire et en tendant les deux mains.

Hardinge s’inclina et remit aussitôt ses dépêches. Cramahé les