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les bastonnais

d’une bataille, est plus sensible aux doux sentiments du cœur et oublie plus facilement tout le reste, qu’aucun autre mortel.

Il en était ainsi de Roderick, ce soir-là. Il appréciait vivement l’étendue des dangers qu’il avait courus et l’importance de la victoire qu’il avait remportée pendant la dernière heure. Qu’aurait donc été pour lui la gloire des armes, le renom acquis par des services patriotiques, s’il avait perdu Pauline ?

Et, s’il faut dire toute la vérité, le pays lui-même valait-il la peine d’être sauvé sans elle ?

Roderick Hardinge avait vingt-sept ans. Il était Écossais de naissance, mais il avait passé au Canada la plus grande partie de sa vie. Son père était officier dans le fameux régiment écossais de Fraser, dont l’histoire est si intimement liée à la conquête de la Nouvelle-France. Après la bataille des plaines d’Abraham à laquelle il prit une grande part, ce régiment fut caserné dans la ville de Québec pendant quelque temps, et lorsqu’il se débanda finalement, la plupart de ceux qui le composaient, officiers aussi bien que soldats, s’établirent dans le pays, ayant obtenu du gouvernement impérial de grandes concessions de terre dans la région du Golfe. Cette colonie a fait sa marque dans l’histoire du Canada, et jusqu’à nos jours, les familles écossaises de la Malbaie doivent être rangées parmi les plus distinguées, dans les annales de la province.

Tout en conservant beaucoup des meilleures qualités caractéristiques de leur origine, ils se sont complètement identifiés avec leur nouvelle patrie et par leurs unions avec les familles de race française, ils ont presque entièrement perdu l’usage de la langue anglaise.

Le père de Roderick avait imité l’exemple d’un grand nombre de ses camarades officiers, et dans l’automne de 1760, quelques semaines après la capitulation de Vaudreuil à Montréal et l’établissement définitif de la puissance britannique au Canada, il avait résigné sa position dans l’armée et s’était établi sur un beau domaine dans Montmagny, à peu de distance de Québec, sur la rive sud du Saint-Laurent. C’est là, qu’il avait appelé d’Écosse sa famille. Roderick, son fils unique, avait douze ans à son arrivée au Canada, et il avait grandi ainsi comme un enfant du sol. Il n’avait jamais quitté le pays, et à la mort de ses parents, il avait hérité du patrimoine paternel qu’il avait considérablement amélioré et cultivé avec beaucoup de succès. Il avait passé souvent ses moments de loisir dans la ville de Québec où sa position, sa richesse et sa bonne éducation lui avaient ouvert les portes des