Page:Lespérance - Les Bastonnais, 1896.djvu/75

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
73
les bastonnais

— Tu veux dire les Américains.

— Américains ou rebelles, quelle est la différence ?

— Tout un monde de différence. Les Américains ne sont pas des rebelles. Ce sont des hommes libres combattant pour leurs droits.

— On nous a appris au séminaire à les appeler rebelles.

— Alors on vous a mal appris.

Zulma s’était levée de sa chaise et se tenait debout près du foyer, la figure resplendissant d’un éclat d’enthousiasme. Elle aurait sans doute continué à exprimer ses idées sur ce sujet, mais son jeune frère ne paraissait pas évidemment y porter grand intérêt. Cette disposition d’esprit n’échappa point à l’œil perspicace de la jeune fille, et elle revint aussitôt à des questions plus pratiques.

— Où les Américains sont-ils arrivés ?

— À la Pointe-Lévis.

— Quand sont-ils arrivés ?

— Ce matin de bonne heure.

— Les as-tu vus ?

— Ils sont très visibles sur les hauteurs, marchant çà et là et faisant toutes sortes de signes dans la direction de la ville. Tout Québec est sorti pour les regarder, les élèves du séminaire, comme les autres. Après que nous les eûmes vus, le supérieur du séminaire m’a appelé à part et m’a dit de prendre un traîneau pour venir vous avertir aussitôt.

— M’avertir ? dit Zulma en fronçant les sourcils ; M. le supérieur est bien aimable.

— Non pas vous en particulier, dit Eugène en riant, mais la famille.

— Oh ! s’écria-t-elle, c’est différent. Je n’ai jamais vu votre supérieur et je ne sache pas qu’il ait connaissance de mon humble existence.

— Et en cela, vous faites erreur. Notre supérieur sait tout ce qui vous concerne, vos tours, vos singularités, vos idées françaises, et il me parle souvent de vous. Il sait tout particulièrement que vous êtes une rebelle et il en est bien peiné.

— Rebelle ! Encore ce mot détestable !

— Je croyais qu’il vous plaisait, quand il vous était appliqué.

Zulma se mit à rire et parut pacifiée, mais elle n’en dit pas davantage. Son frère lui dit alors que ces nouvelles avaient considérablement agité leur vieux père. Ce qui l’alarmait surtout, c’était la crainte que son fils fût exposé aux dangers de la guerre, en restant dans la ville, et il songeait à le retirer du séminaire durant le siège imminent. Qu’en pensait Zulma ?