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les bastonnais

colonne ouverte, sur les plaines d’Abraham. Les soldats avaient brossé leurs uniformes, fourbi leurs armes et s’étaient donné la meilleure apparence possible. Ils n’étaient pas plus de sept cents, mais une judicieuse évolution des ailes faisait paraître l’armée plus nombreuse. Quelques-uns des officiers paraissaient très bien mis, ayant revêtu les uniformes de grande tenue qui n’avaient pas servi depuis que l’expédition avait quitté Cambridge deux mois auparavant.

Pauline et Zulma occupaient, au milieu d’un groupe nombreux, une bonne place d’où elles pouvaient voir tout, et entendre, en même temps, les commentaires de la foule.

— Pourquoi les Bastonnais ne viennent-ils pas ? disait un vieux Français en relevant d’un air crâne son bonnet de laine bleue sur le côté. Ce sont des imbéciles. Ils ne comprennent pas leur chance.

— Vous avez raison, répondait un autre vieux près de lui. Si le général des rebelles le savait seulement ! Les portes ne sont pas convenablement gardées et les palissades ne sont qu’à moitié faites. Il pourrait s’élancer en avant et s’emparer de la ville par un coup de main.

Cette conversation était frappante et plus tard, après la fin des événements, Zulma avait coutume de dire qu’elle exprimait la vérité. Si Arnold avait tenté un assaut sur Québec, ce matin de novembre, Sanguinet et d’autres chroniqueurs nous assurent qu’il s’en serait emparé. Cela aurait suffi à l’immortaliser et aurait épargné au monde le scandale du traître le plus lâche des temps modernes.

Le dialogue ci-dessus se débitait à droite de Zulma et de Pauline. À leur gauche se tenait le suivant entre deux Anglais, un aubergiste et un matelot.

— Si notre commandant faisait une sortie contre ces gueux-là, il les balayerait dans le Saint-Laurent, disait le matelot.

— Ou bien, il ferait prisonniers la plus grande partie d’entre eux, répondait l’aubergiste.

C’était là une opinion toute contraire à la première que nous avons rapportée et cependant, elle aussi a été exprimée dans la suite par des historiens. La garnison de Québec était forte de quinze cents hommes et bien pourvue d’armes et de munitions. L’armée américaine ne comptait que la moitié de ce nombre, et ses soldats étaient pauvrement vêtus et mal armés. Les Anglais avaient une base d’opérations et une place de retraite dans Québec. Les continentaux n’avaient d’autre ligne de retraite que le vaste Saint-Laurent et quelques canots d’écorce qu’une douzaine de