Page:Lesueur - Nietzscheenne.djvu/237

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.



XIV


— « Quelle dame ? Comment est-elle ? Vous n’avez pas dit que j’étais là ? » chuchota rapidement Jocelyne.

— « J’ai dit que j’allais voir », expliqua la femme de chambre.

Mlle Monestier jeta un coup d’œil à travers le tulle des fenêtres. Elle ne vit, devant sa grille, qu’un taxi-auto. Cela ne lui apprit rien. Elle hésitait. Et la gravité assombrie de son visage marquait une autre préoccupation que celle d’une visite intempestive.

C’était l’avant-veille au soir que Jocelyne avait envoyé à Robert la lettre où elle l’autorisait à venir, — cette lettre qui en disait tant ! — cette lettre griffonnée passionnément dans le silence, dans la nostalgie d’un crépuscule de juillet.

Aujourd’hui, elle se demandait en tremblant comment elle avait pu… Les phrases, parties telles quelles, sans qu’elle osât les relire, s’évoquaient, par lambeaux ardents. Elle s’en exagérait l’impétueuse sincérité. Pour se représenter quelles suggestions l’avaient vaincue, quelle folie avait débordé de son cœur, Jocelyne se revoyait devant sa table, dans cette pièce du premier étage où elle se trouvait encore à ce moment, et qu’elle appelait son « bureau ».

Rien ne justifiait, d’ailleurs, l’austère appellation, si ce n’est qu’elle y travaillait, et peut-être aussi la présence d’un cartonnier, garni de bronzes charmants, avec, au fronton, une pendule, et dont les tiroirs enfermaient les dossiers de ses sociétés philanthropiques.

Avant-hier, lorsqu’elle avait pris la plume pour, répondre à son ami, elle s’était placée très près de la croisée ouverte, pour profiter de la mourante lumière. Sous ses yeux, le square Lamartine, avec ses gazons rectilignes, ses quinconces de marronniers entre des maisons basses,