Page:Lesueur - Nietzscheenne.djvu/242

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À peine formula-t-’elle distinctement les mots. Le sang brûla ses joues, marbra sa pâleur. Hier… Longue journée où elle avait attendu en vain — de quelle âme brûlante, de quels nerfs défaillants ! — le mari de celle-ci, qu’elle interrogeait. Et sa question n’était qu’une insidieuse curiosité d’amour. N’eût-elle pas éprouvé un choc irréparable en apprenant que rien d’anormal n’avait retenu Robert, la veille, à l’usine ?

— « Hier ?… » murmura Lucienne. « Mais oui. Les grévistes ont essayé de débaucher les nôtres. Je ne sais pas au juste ce qui s’est passé. J’ai à peine vu mon mari, ce matin. Et encore, est-il venu, avant la reprise du travail, un instant seulement, de très bonne heure… Car il avait passé la nuit là-bas. Hier, mon Dieu !… Mais, si je n’avais pas traversé des heures mortelles hier, je ne me serais pas ainsi affolée aujourd’hui.

— « Ne vous repentez pas d’être venue à moi madame », prononça Jocelyne.

Elles n’osèrent pas échanger un regard.

Mlle Monestier fit encore cette réflexion :

— « Si les choses ont eu l’air de mal tourner, cela vaut mieux, en un sens. M. Clérieux aura réclamé de la police, de la troupe. Il doit être protégé à l’heure qu’il est.

— Dieu le veuille ! » soupira Lucienne. « Mais il se croyait si sûr de ses ouvriers ! »

Un peu avant l’usine, par les chemins de poussière et de soleil, la voiture dépassa des groupes d’hommes qui, tous, se dirigeaient du même côté. Quelques-uns, en chœur, chantaient l’Internationale.

— « Oh !… » gémit Lucienne, se recroquevillant contre les coussins. « Ils ont des figures effrayantes!… — Mais non », rectifia Mlle Monestier. Et elle ajouta, un peu durement : — « Vous né les connaissez pas. Avez-vous jamais mis les pieds dans l’usine de votre mari? — Jamais… Ces gens-là me font peur.

— Ce ne sont pas eux qui doivent vous faire peur », s’écria Jocelyne avec véhémence. « Ce sont ceux qui les aveuglent, qui les égarent pour se servir d’eux, pour les manier comme un épouvantail… afin de conquérir des