Page:Lesueur - Nietzscheenne.djvu/65

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là, son départ, à lui, pour causer à son tour avec le banquier.

— Venez dans mon cabinet », ajouta Nauders, « Rien ne m’agace la vue comme les choses inachevées. »

— Pourtant », riposta-t-elle avec grâce, « vous y vivez… dans l’inachevé. Vous ne finissez jamais une œuvre que vous n’en ayez commencé une autre. »

Souriante, mais avec son habituelle gravité, elle s’enveloppait de calme. C’était comme une légère et noble draperie toujours ramenée autour de ses épaules. Nulle trace de l’émotion, toute proche cependant, au téléphone. Bouleversement rare chez elle, ramené déjà aux proportions que sa volonté, sa fierté, rétrécissaient.

Dès que Nauders eut refermé la porte, elle vit en lui un autre homme. Haute stature immobilisée, bras qui croisaient sur le souffle puissant de la poitrine, et, dans les yeux gris, cette ombre soudaine, cette fumée ardente qu’elle connaissait, aujourd’hui plus opaque, montant d’un brasier moins contenu.

Elle le regarda, elle aussi, sans parler. Mais le sourire s’éteignit sur sa bouche, qui pâlissait.

— « Dieu que vous êtes belle, aujourd’hui ! » s’écria enfin le banquier.

Jocelyne eut aussitôt ce visage durci qui la faisait ressemblante à une petite Méduse de bouclier. Sa tresse blonde, au-dessus du front, blanc comme un bandeau étroit et pur, les volutes des cheveux bouclés aux tempes, les yeux larges sous l’ombre rectiligne des sourcils, accentuaient l’analogie de légende, de féminine sauvagerie, de mystère.

D’abord, elle n’eut pas un mot. Mais comme il ajoutait, dans une ivresse :

— « Oui, vous êtes belle… Vous ne m’empêcherez pas de vous le dire, au moins ! »

Elle prononça, de sa voix charmante, avec une inaltérable douceur même dans la fermeté :

— « Si !… Je vous empêcherai de me le dire.

— Comment ? » interrogea- t-il, en se laissant tomber sur le fauteuil, devant son bureau.

— « Parce que j’en appellerai au meilleur de votre