Page:Lesueur - Nietzscheenne.djvu/72

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ce long temps que j’ai déjà vécu. Combien de Nauders divers épouserais-je donc, alors ? Que de revenants dans son âme, s’il dit vrai ! »

Cependant, il laissa la périlleuse démonstration. Il essaya autre chose. Avec une humilité d’accent, d’expression, insoupçonnée en lui, il suppliait :

— « Épousez-moi sans amour, Jocelyne. Ce n’est pas mon bonheur que je veux, c’est le vôtre. Je ne serai ni égoïste, ni tyrannique. Je me contenterai de ce que vous pourrez me donner. »

Il prononçait des phrases de ce genre, et d’autres encore, aussi dépourvues de sens logique, valables seulement par le brûlant effluve de désir qu’elles dégageaient, par l’obstination de ce désir.

— « Non, mon pauvre ami, non. Je suis touchée au delà de ce que je puis vous exprimer. Mais c’est impossible, croyez-moi… impossible.

— Que vous faut-il donc ? Qui rêvez-vous ?

— Personne.

— Allons donc !

— Personne.

— Je ne vous crois pas, Jocelyne. Vous vous croyez peut-être vous-même, — peut-être ! Mais moi… je ne vous crois pas.

— Vous verrez bien.

— Vous verrez aussi. Vous verrez jusqu’à quel sommet il montera, Nauders !

— Oh ! mon ami… Je vous assure… Pour vous admirer, pour vous aimer autant que c’est en mon pouvoir, il me suffit que vous soyez ce que vous êtes. »

Suavité trop aiguë, dans la sincérité, la sympathie profonde. Nauders s’affala, les coudes en avant, sa grosse tête puissante jetée d’un sanglot entre ses mains.

Jocelyne posa son regard sur cette tête, sur ce crâne où s’emmêlaient les cheveux encore noirs, frangés de plus courts cheveux blancs. Individualité d’exception, certes. Et quelle séduction de volonté, pour cette volontaire, enthousiasmée de force morale. Mais tout cela tendu vers l’argent… Froides perspectives. D’ailleurs, ce qui résolvait tout, en elle, c’était cette contraction