Page:Lesueur - Nietzscheenne.djvu/74

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d’être le mari de sa femme. En cette qualité seule, il occupait quelque peu l’opinion. Et encore n’y subissait-il que des jugements tout faits.

Bien qu’elle fût séduisante, on n’imaginait pas qu’il eût recherché Huguette Nauders pour autre chose que pour son argent. Et, quoique la jolie vicomtesse n’eût encore jusqu’à ce jour été convaincue d’aucune légèreté, on ne doutait pas que Maurice de Gessenay ne fût, par destinée, pas essence, par définition, le plus accompli des maris trompés.

Cette fatalité singulière apparut plus vivement à l’esprit alerte de Jocelyne, dans la minute où elle entendit le capitaine dire d’un ton tranquille, en parlant de sa femme : « Elle a un secret que je ne dois pas entendre. »

« Évidemment, il plaisante », se dit la jeune fille, qui se dirigea vers l’appartement de son amie. « Mais existe-t-il des mots qu’on puisse prononcer sans que l’écho en prolonge au fond de nous quelque vibration imprévue ? Gessenay a-t-il jamais éveillé l’amour de Huguette ? L’a-t-il possédé, cet amour ? Songe-t-il à le garder ? Craint-il de le perdre ? Qu’y a-t-il chez cet homme, chez qui il paraît ne rien y avoir ? Personne n’est dénué de vie intérieure. Le régiment, le métier, les chevaux, très bien. Mais il n’est pas là, non plus, — pas assez de zèle, de feu sacré pour cela. Alors le véritable Maurice de Gessenay, qu’est-il ? où est-il ? »

À brûle-pourpoint, elle posa la question lorsqu’elle rejoignit Huguette. Par la surprise d’un interrogatoire inattendu, Jocelyne voulait cacher à son amie l’émoi qui lui restait du poignant dialogue avec Nauders — émoi qui montait sourdement au lieu de se calmer.

— « Pourquoi me demandes-tu cela ? Tu veux savoir ce que je pense de Maurice ?… Ça t’intéresse ?… » demanda la jeune femme avec stupéfaction.

— « Certainement.

— À quel propos ?

— Eh bien, voilà tout. Je voudrais savoir quelle figure d’homme il représente dans ta pensée, pour toi, sa femme. C’est si curieux !… Nous avons autant de personnalités extérieures qu’il y a de gens à même de