Page:Lettres d’un habitant des Landes, Frédéric Bastiat.djvu/22

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rends rue La Fayette, croyant arriver à l’heure dite ; le convoi était parti, il m’a fallu attendre celui de midi. Que faire dans l’intervalle ? La butte Montmartre n’est pas loin et l’horizon y est sans bornes. Vers cinq heures, nous avons passé de France à Belgique et j’ai été surpris de n’éprouver aucune émotion ; ce n’est pas ainsi que je franchis pour la première fois notre frontière ; mais, j’avais dix-huit ans et j’entrais en Espagne ! C’était au temps de la guerre civile ; j’étais monté sur un superbe coursier navarrais, et toujours homme de précaution, j’avais mis une paire de pistolets dans mon porte-manteau ; car l’Ibérie est la terre des grandes aventures ; ces distractions sont inconnues en Belgique ; serait-il vrai que la bonne police tue la poésie ? Je me rappelle encore l’impression que faisaient sur moi les fiers Castillans quand je les rencontrais sur une route, à cheval, et flanqués de deux escopettes. Ils avaient l’air de dire : Je ne paie personne pour me protéger, mais je me protége moi-même. Dans tous les genres, il semble que la civilisation qui élève le niveau des masses diminue la valeur des caractères individuels ; je crains que ce pays-ci ne confirme l’observation.