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de pressentir, peut-être, l’avenir du genre humain. « Crois-tu qu’une pareille vie, avec un pareil but, est trop pénible, trop dénuée de tout charme ? C’est qu’alors tu n’as pas encore appris qu’il n’est pas de miel plus doux que celui de la science et que les pesantes nuées de la tristesse sont les lourdes mamelles où tu puiseras un lait réconfortant. Vienne alors la vieillesse et tu comprendras bien comment tu as suivi la voix de la nature, de cette nature qui dirige le monde par le plaisir. Cette vie qui a pour cime la vieillesse a aussi pour cime la sagesse, ce doux rayonnement d’une joie intellectuelle constante ; l’une et l’autre, la sagesse et la vieillesse tu les rencontreras au sommet de la même montée : ainsi l’a voulu la nature. Alors sonne l’heure — ne t’en irrite point — où approche le brouillard de la mort. Que ton dernier mouvement soit un effort vers la lumière ; un chant de triomphe de la sagesse — ton dernier soupir[1]. »

À partir de 1882, cependant, le ton des œuvres de Nietzsche commence à changer insensiblement. Sans doute il continue jusqu’au bout la lutte qu’il a commencée contre les croyances de son époque : l’une de ses dernières œuvres, le Crépuscule des idoles, porte le sous-titre significatif : Comment on philosophe à coups de marteau ; de même la Généalogie de la morale et l’Anti-chrétien contiennent des attaques d’une violence parfois inouïe contre le christianisme et son idéal ascétique. Mais aux fanfares belliqueuses, aux cris de colère et de haine, aux âpres sarcasmes, se mêlent maintenant les accents lyriques et enthousiastes d’un hymne de triomphe. Nietzsche revient à la santé. Après des années de maladie et de souffrance pendant lesquelles il vivait au jour le jour, attendant la mort presque d’un instant à l’autre, il respire de nouveau plus librement, il se reprend

  1. W. II, 267.