Page:Lichtenberger - La Philosophie de Nietzsche.djvu/106

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rassemble autour de lui, dans sa grotte solitaire, les exemplaires les plus affinés d’humanité supérieure mais souffrante, « les hommes du grand désir, du grand mépris, du grand dégoût », ceux qui doivent un jour faire place au « Surhomme », — qui les guérit de leur pessimisme en faisant luire à leurs yeux la vision de l’avenir, et qui meurt enfin au moment où il atteint le suprême degré de la sagesse, au moment où le soleil de son existence est au zénith, à l’heure du « grand midi », en consacrant par sa mort le triomphe de sa doctrine.

Nous nous proposons de résumer, dans les deux chapitres qui vont suivre, la philosophie de Nietzsche, en exposant d’abord la partie négative de sa doctrine : la critique de l’homme actuel, de ses croyances et de ses instincts, — puis la partie positive : la religion du « Surhomme » et du « Retour éternel ». Je n’ignore pas les objections très sérieuses qu’on peut faire à cette façon de procéder. La plus grave, c’est qu’en exposant les idées de Nietzsche sous une forme systématique, on leur donne forcément une allure dogmatique qu’elles n’ont pas et ne veulent pas avoir. Il est en effet certain que de 1878 à 1888, la pensée de Nietzsche n’est pas restée invariable ; je viens d’indiquer moi-même que vers 1882 elle a pris une orientation assez différente de celle qu’elle avait auparavant ; et il serait aisé de noter entre la période de 1878 à 1882 et celle de 1882 à 1888 d’autres divergences plus ou moins importantes. Puis Nietzsche n’est pas et ne veut pas être un philosophe d’école. La vérité en soi lui est très indifférente ; il ne se soucie pas du tout de démontrer des propositions par des arguments logiques, et encore beaucoup moins d’échafauder un beau système bien cohérent et bien ordonné ; il ne se préoccupe jamais de réfuter par des raisonnements les opinions qu’il regarde comme erronées. Sa manière de procéder est toujours la même. Il dit : « Mon instinct me fait voir en tel homme ou tel