Page:Lichtenberger - La Philosophie de Nietzsche.djvu/113

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est de même des maladies de la personnalité : elles ont une origine naturelle, mais leurs conséquences n’en sont pas moins désastreuses. Selon que les instincts normaux ou les instincts morbides prédomineront dans un individu donné, il sera un bel exemplaire d’humanité ou un dégénéré. Il y a donc d’une part des hommes sains de corps et d’âme, qui disent « oui » à l’existence, qui sont heureux de vivre et dignes de perpétuer la vie, et il y a, d’autre part, des malades, des impuissants, des décadents, dont l’instinct vital est amoindri, qui disent « non » à l’existence, qui s’inclinent vers la mort, vers l’anéantissement, qui ne cherchent plus, ou en tout cas ne devraient plus chercher à se perpétuer. C’est là une réalité naturelle et physiologique contre laquelle il n’y a pas à s’insurger : en fait, la vie est partout en progrès ou en décadence, elle augmente ou diminue d’intensité ; l’homme est une plante qui tantôt végète misérablement et tantôt s’épanouit splendidement, poussant de tout côté des rejetons puissants et magnifiques. — C’est sur ce fait que Nietzsche fonde sa table des valeurs.

Il raisonne ainsi : « Je ne sais pas si la vie est en elle-même bonne ou mauvaise. Rien n’est plus vain, en effet, que l’éternelle discussion entre les optimistes et les pessimistes et cela pour une excellente raison, c’est que personne au monde n’a qualité pour juger ce que vaut la vie : les vivants ne le peuvent pas parce qu’ils sont partie dans le débat et même objets du litige ; les morts ne le peuvent pas davantage — parce qu’ils sont morts[1]. Ce que vaut la vie dans sa totalité, nul ne peut donc le dire ; j’ignorerai à tout jamais s’il eût mieux valu pour moi d’être ou de ne pas être. Mais du moment où je vis, je veux que la vie soit aussi exubérante, aussi luxuriante, aussi tropicale que possible, en moi et hors de moi. Je dirai donc « oui »

  1. W. VIII, 68 s., 88 s.