Page:Lichtenberger - La Philosophie de Nietzsche.djvu/124

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lui prescrit l’usage fréquent d’un petit plaisir facile à se procurer : « l’amour du prochain » sous toutes ses formes, telles que bienveillance, charité, assistance mutuelle, etc. Ou bien enfin il groupe en troupeau ses malades pour leur faire oublier par les mille menues distractions de la vie sociale leurs misères individuelles.

Mais à côté de ces moyens innocents, il use pour ses cures d’un remède aussi dangereux qu’efficace, d’un poison effroyable qui fait oublier aux malades leurs souffrances, mais qui ruine plus que jamais leur organisme. Ce poison, c’est le sentiment du péché.

La notion du péché a pour fondement naturel deux sentiments nés spontanément et en dehors de l’intervention du prêtre dans le cœur humain : la « mauvaise conscience » et la croyance d’une « dette » contractée par l’homme envers la divinité.

La mauvaise conscience est, selon Nietzsche, le résultat du malaise profond qui s’empara de l’homme quand, d’animal sauvage et solitaire qu’il était primitivement, il devint membre d’une société organisée, tête de bétail dans un troupeau. L’État est probablement, à l’origine, une effroyable tyrannie imposée à une race pacifique ou mal organisée par une bande d’hommes de proie, de puissants associés en vue du pillage et de la guerre. Brusquement les conditions d’existence des vaincus se trouvèrent bouleversées de fond en comble. Pour se guider dans la vie, ils ne purent plus suivre librement l’instinct naturel qui les gouvernait jusqu’alors : ils durent faire effort sur eux-mêmes pour se conduire avec prudence, pour comprimer leurs volontés quand elles risquaient de déplaire aux maîtres ; il leur fallut agir par raisonnement et réflexion. Mais les instincts sont une certaine somme de force qui se manifeste nécessairement par des effets. Si cette force est comprimée de telle sorte qu’elle ne peut plus se dépenser à l’extérieur par des réactions