Page:Lichtenberger - La Philosophie de Nietzsche.djvu/127

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qu’il a contracté envers la divinité une dette formidable qu’il est hors d’état de payer. Et tout naturellement cette dette lui apparaît comme la raison d’être des souffrances qu’il s’inflige : il veut, par ces souffrances apaiser son créancier irrité, expier son « péché ». Le voilà désormais acharné à se torturer pour s’acquitter d’une dette qu’il croit infinie, réclamant de la souffrance, toujours plus de souffrance pour assouvir cet inextinguible désir d’expiation qu’il porte en lui.

Cette notion du péché, une fois constituée, devint l’instrument de la domination du prêtre sur les âmes. C’est par elle qu’il eut prise sur la foule des malheureux et qu’il mit la main sur toutes les brebis souffreteuses qu’il rencontrait sur son chemin. Il s’en alla vers les dégénérés qui, travaillés par un mal physique dont ils ignoraient la nature, cherchaient anxieusement la cause ou, mieux encore, l’auteur responsable de la dépression où ils se sentaient plongés. Et il persuada à tous ces misérables qu’ils étaient eux-même la cause véritable de leurs souffrances ; que ces souffrances devaient être regardées comme une faible expiation des « péchés » dont ils étaient coupables, qu’ils devaient par conséquent les accepter non pas seulement avec résignation mais avec joie, comme une épreuve envoyée par Dieu. Les infortunés le crurent : ils acceptèrent, dans leur détresse, l’explication qu’il proposait de leur souffrance ; ils se laissèrent docilement inoculer le poison effroyable de la croyance au péché. Et pendant une longue suite de siècles ce fut, à travers l’Europe, une théorie lugubre de « pécheurs » pénitents, qui s’acheminaient vers la mort à travers un long martyre, le corps malade, les nerfs détraqués, l’âme affolée, en proie à des crises de désespoir ou à des extases délirantes, assoiffés de tortures, hantés par l’idée fixe du péché et de la damnation éternelle.

Ce qui caractérise somme toute le christianisme, d’après