Page:Lichtenberger - La Philosophie de Nietzsche.djvu/174

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moins dans cet espoir, et toute mon existence sera dirigée par cette unique pensée : je veux que le cercle dans lequel se meut éternellement la vie soit un diadème aussi resplendissant, aussi merveilleux que possible ; je jouerai donc avec joie et en pleine conscience ma vie, dans l’espérance que mon coup de dés amènera un beau résultat, et si je perds je me consolerai à l’idée qu’un autre du moins amène ou amènera le beau coup que je rêvais et qu’ainsi la splendeur de la vie ne sera pas diminuée. — Ébloui par cette vision, enivré, enfiévré par cette partie formidable qu’il joue avec le hasard, l’homme apprendra à regarder toutes ses défaites, toutes ses tristesses et toutes ses misères, comme la rançon nécessaire de ses victoires et de ses joies, comme l’aiguillon qui le pousse à tendre toujours plus avant, toujours plus haut, à se dépasser lui-même, à essayer de réaliser des combinaisons supérieures. Alors, faisant la somme de son existence, il trouvera aussi que le total de ses joies l’emporte sur le total de ses douleurs et il acceptera, le cœur débordant d’enthousiasme, l’idée de revivre éternellement ce qu’il a vécu.

C’est à cette conclusion qu’arrivent des « hommes supérieurs » que Zarathustra a réunis dans sa caverne. Lorsqu’il leur a exposé sa nouvelle table des valeurs et montré la vraie beauté, la vraie grandeur de la vie, lorsqu’il les a guéris de leur pessimisme et qu’il a allégé leurs âmes prêtes à succomber sous le poids du dégoût ou de tristesse, il les réunit, à la nuit tombante, devant sa grotte, sous la voûte constellée du ciel.

« Et ils se tenaient silencieux l’un près de l’autre — tous étaient vieux, mais leur cœur était consolé et plein de vaillance, et chacun s’étonnait, à part soi, qu’il fit si bon sur la terre. Et le silence de la nuit mystérieuse parlait toujours plus distinctement à leur cœur… Alors se passa la chose la plus prodigieuse de ce long jour si riche en prodiges : l’Homme le plus hideux se mit encore une fois et pour la dernière fois à souffler et à gar-