Page:Lichtenberger - La Philosophie de Nietzsche.djvu/180

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peut en effet passer pour un érudit, ni pour un savant. L’état de sa santé, et en particulier de sa vue, lui interdit presque complètement, pendant de longues années, toute espèce de lecture. Il n’a jamais été spécialiste que pour la philologie et à partir de 1879 il cesse de se tenir au courant. Dans toutes les autres branches des sciences naturelles ou historiques, il n’est qu’un dilettante et le reconnaît sans aucune difficulté. Il ne poursuit nullement le but de faire progresser telle ou telle partie de la science ou encore de vulgariser les résultats des sciences, mais il veut uniquement formuler des problèmes nouveaux ou poser d’une manière nouvelle des problèmes anciens. Il prétend agir non pas sur la science elle-même, mais sur l’âme des savants. Et il est ainsi en droit — dans une certaine mesure au moins — de n’attacher qu’une importance secondaire aux faits dont il se sert pour illustrer ses théories. Ses étymologies et ses hypothèses sur les variations de sens des mots, par exemple, ne sont à la vérité ni très sûres, ni très probantes ; mais peu lui importe, au fond ; les faits qu’il cite servent surtout, dans sa pensée, à montrer comment on pourrait aborder l’étude des problèmes moraux à l’aide de la linguistique et à stimuler les linguistes à diriger dans ce sens leurs investigations ; la valeur intrinsèque de ses observations particulières est chose tout à fait secondaire pour lui et quand même aucune de ses remarques techniques ne subsisterait, Nietzsche estimerait, malgré tout, avoir fait œuvre utile s’il avait pu, par ses remarques, piquer la curiosité d’un linguiste et l’incitera aborder cet ordre de questions. Or on s’est beaucoup préoccupé, tout particulièrement dans ces derniers temps, d’éclaircir à l’aide des faits linguistiques les faits sociaux, en particulier de se faire une idée des civilisations préhistorique par l’étude comparative des langues. Je ne prétends nullement faire à Nietzsche un mérite de cette coïncidence, mais simplement indiquer comment une idée émise