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femme-commis, il est au contraire plein de respect inné et naïf, de pitié et de sincère tendresse pour l’Éternel-féminin tel qu’il le conçoit. Et ce respect instinctif, Nietzsche semble, dans sa vie privée, l’avoir accordé aux femmes qu’il a vues de près. Si peu que nous connaissions encore de sa biographie, du moins savons-nous qu’à diverses reprises il a eu des femmes pour amies et pour confidentes : sa sœur, Mme Förster-Nietzche, qui vient de raconter l’histoire si attachante de son enfance et de sa carrière universitaire ; Mlle Malvida de Meysenbug, l’auteur des Mémoires d’une idéaliste ; Mme Lou Andreas-Salomé à qui il confia pendant quelque temps ses angoisses intellectuelles et morales, ou encore cette jeune femme dont il fit la connaissance à Bayreuth et à laquelle il adressa des lettres empreintes d’un charme pénétrant et d’une exquise délicatesse de sentiments[1]. Et d’après le peu que nous savons sur ses relations féminines, nous entrevoyons que, s’il ne connut pas la grande passion et ses orages, il a dû goûter profondément, en revanche, le charme plus ténu et plus subtil de la tendresse féminine. La sœur de Nietzsche, qui fut l’amie et la confidente de ses années de jeunesse, raconte que son frère ignora toujours le grand amour et l’amour vulgaire. « Son unique passion fut la recherche de la vérité ; pour tout autre objet il ne pouvait ressentir que des impressions très tempérées. Il fut très contrarié, plus tard, de n’avoir jamais pu se monter jusqu’à l’amour-passion, mais toutes ses inclinations vers une personne de l’autre sexe, si charmante qu’elle pût être, se transformaient bien vite en une douce et cordiale amitié[2]. » Il semble, en vérité, que Nietzsche n’ait aimé qu’avec son âme, que l’amour se soit dépouillé chez lui de tout élément sensuel et pathologique pour se résoudre en une

  1. Publiées dans Cosmopolis, mai 1897, p. 470 ss. Voir aussi F. Nietzsche, Gesammelte Briefe, I, p. 301 ss.
  2. Mme Förster-Nietzsche, Das Leben Fr. Nietzsche’s, I. 180. Voir aussi son article sur F. Nietzsche über Weib, Liebe und Ehe dans la Neue deutsche Rundschau, d’oct. 1899.