Page:Lichtenberger - La Philosophie de Nietzsche.djvu/191

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sidère avec défiance et inquiétude ; elle se demande s’il n’est pas un méchant homme, parfois elle murmure même le nom de « bourreau » ; elle s’écarte de lui, elle va plutôt chez des médecins à la main plus légère, à la parole plus douce, dont les cures sont moins dangereuses, les traitements moins énergiques ; et peut-être n’a-t-elle pas tort. Mais en revanche, il a aussi un groupe de fidèles qui aiment précisément sa rudesse, son intraitable droiture, son caractère entier, qui proclament hautement la sûreté de sa science et l’excellence de sa méthode. Et je crois qu’eux aussi ne se trompent pas dans leur admiration et leur amour. Ils comprennent, en effet, que ce n’est ni par sécheresse de cœur ni faute de connaître la douleur qu’il se montre si dur pour l’humanité souffrante ; ils savent, au contraire, que la vie eut pour lui des rigueurs peu communes ; ils estiment que sa tragique destinée lui confère peut-être le droit de se montrer moins prompt à s’apitoyer sur les misères et les faiblesses humaines ; et ils s’inclinent avec respect devant le penseur vaillant et fier qui, parmi les tortures d’un mal inguérissable ne s’est jamais laissé aller à maudire l’existence, et qui, sous la menace perpétuelle de la mort ou de la folie a soutenu jusqu’au bout, sans un instant de faiblesse, son hymne passionné en l’honneur de la vie éternellement jeune et féconde, bravant jusqu’au bout la souffrance qui a pu ruiner sa raison mais non faire plier sa volonté consciente.