Page:Lichtenberger - La Philosophie de Nietzsche.djvu/37

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utiliser tous ses instincts, les bons comme les mauvais, dans la recherche de la vérité, s’il doit considérer sa vie et son être comme une matière à expériences, il doit se garder d’autre part de laisser porter atteinte à l’unité de sa personnalité. Si la force centrale, la volonté, s’affaiblit chez lui, si elle ne maintient pas à tout prix une rigoureuse hiérarchie des instincts, si l’âme devient le champ de bataille des instincts émancipés et luttant aveuglément pour la puissance sans être maîtrisés par aucune puissance qui les dirige et les contienne, — l’individu subit une irrémédiable déchéance. L’anarchie des instincts est un des plus graves symptômes de décadence ; elle n’apparaît que chez des êtres dégénérés et qui s’inclinent vers la mort. Chez Nietzsche dont la volonté est extraordinairement développée, l’unité harmonieuse de la personnalité n’est jamais menacée. Jamais nous ne le trouvons en guerre avec lui-même, irrésolu, flottant. Malgré sa complexité, il est « tout d’une pièce » : lorsqu’il pense ou qu’il agit — car agir et penser sont pour lui tout un — c’est son être tout entier qui pense et qui agit ; toutes ses facultés, sa volonté, son intelligence, sa sensibilité, son goût artistique s’unissent irrésistiblement pour le conduire là où il veut aller. L’histoire de sa vie nous montrera l’évolution d’une individualité aussi puissante que riche, consciente de très bonne heure du but vers lequel elle tend et marchant dès lors invariablement vers ce but ; il lui arrive de se tromper : il se laisse, pour un instant, entraîner par des influences étrangères vers une direction qui n’est pas la sienne ; mais il revient bientôt, conduit par un instinct sûr, dans sa vraie voie ; il guide et discipline en vue de la conquête de son idéal la multitude variée des facultés spéciales qui sont à son service et il les fait toutes concourir à la grande tâche qu’il s’est assignée ; jusqu’au jour, où, après des années de lutte et d’efforts, il arrive