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font revivre le monde des dieux homériques dont le radieux éclat commençait déjà à se ternir, et se servent de toutes ces visions apolliniennes comme de symboles particuliers et typiques au moyen desquels ils traduisent sous une forme sensible leur conception de l’univers. Entre leurs mains ces mythes plastiques s’imprègnent d’émotion musicale, de sagesse dionysienne. Galvanisé par le souffle de l’esprit dionysien, vivifié par la puissance magique de la musique, le vieux mythe homérique atteint, avant de mourir, sa forme la plus expressive : « Une fois encore, il se lève, tel un héros blessé : et toute la surabondance de ses forces, toute la paix et toute la sagesse que donne la mort brillent dans ses yeux d’une dernière et puissante lueur[1]. »

Cette époque de la « sagesse tragique » dont il voyait la plus haute manifestation dans les drames d’Eschyle et dont il croyait deviner l’expression rationnelle dans la philosophie d’Héraclite, est pour Nietzsche le point culminant de la civilisation hellénique. Quand seize ans plus tard, arrivé à la pleine conscience de lui-même, il jeta un coup d’œil en arrière sur l’œuvre de sa jeunesse, il souligna comme son principal mérite d’avoir, le premier, mis en relief, dans la Naissance de la tragédie, le sens profond du problème de l’esprit dionysien chez les Grecs. « La psychologie de l’état orgiastique interprété comme un sentiment de vie et de force débordante, où la douleur elle-même est ressentie comme un stimulant, m’a montré la voie qui conduisait à la notion du sentiment tragique si méconnu par Aristote comme par nos pessimistes… L’affirmation de la vie jusque dans ses problèmes les plus ardus et les plus redoutables, la Volonté de vivre s’exaltant dans la conscience de son inépuisable fécondité, devant la destruction des plus beaux types d’humanité, —

  1. W. I, 76.